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Bayreulh pour y entendre Parsifal, il lui répondait que c’était en efifet chose monstrueuse « qu’un événement tel que Parsifal se passât loin de lui, » mais que « la loi qui pesait sur lui, » que sa « tâche, » ne lui en laissait pas le loisir. Et il ajoutait : « Mon fils Zarathustra vous aura sans doute révélé ce qui s’agite en moi. Si je parviens à atteindre ce que je veux, je mourrai avec la conscience que les milliers de siècles à venir ne jureront que par moi. »

Mais avec tout cela il aime le jeune homme d’une affection toute fraternelle. Il s’intéresse à ses travaux, il le conseille, il s’efforce de l’approuver et de lui découvrir les plus belles qualités. Ne pouvant le rejoindre à Bayreuth, il rinite à venir le voir dans son Engadine. Et pendant les trois jours que Stein y passe près de lui, il n’y a point de marque de sympathie qu’il ne lui prodigue.

Par malheur Stein, lui aussi, avait une arrière-pensée à l’égard de son nouvel ami : il rêvait de le ramener au culte de Wagner ! Rêve aussi naïf que touchant, bien digne de cette âme noblement puérile ! Et ce fut ce beau rêve qui, bientôt, failht causer la rupture de ses relations avec l’ex-apôtre de Wagner et du wagnérisme. Voici, exactement, de quelle piquante façon se produisit l’aventure.

Quelques jours après être revenu de son pèlerinage auprès de Nietzsche, Stein reçut la lettre suivante :

Mon cher docteur, Je vous envoie un dernier salut de Sils-Maria, car l’automne s’y fait sentir si fort qu’il en chasse même les ermites. Votre visite est une des trois bonnes choses dont je garderai une reconnaissance éternelle à cette année de Zarathustra. Mais vous, qui sait si vous n’avez pas trop trouvé Philoctète dans son île ? et aussi quelque chose de cette croyance de Philoctète : « Sans mes flèches, impossible de conquérir Ilion ? » Une rencontre telle que la nôtre comporte toujours une part de mystère. Mais croyez bien à ceci : que, dès maintenant, vous êtes un des rares hommes dont la destinée, en bien et en mal, appartient à ma destinée. Fidèlement, votre Nietzsche.

Sils-Maria, le 18 septembre 1814.

Stein connaissait, lui aussi, l’histoire de Philoctète. Et, après avoir encore remercié Nietzsche des heureuses journées qu’il avait passées avec lui, il crut pouvoir se permettre une allusion qui lui paraissait, sans doute, la plus inoffensive du monde. « Oui, écrivait-il, je partage la croyance de Philoctète dans la nécessité de ses flèches pour conquérir Troie. Mais est-ce que Néoptolème croit moins, pour cela, que c’est au héros mort que revient la plus grosse part, dans la conquête de Troie ? Cette croyance l’empêche-t-elle de comprendre Philoctète ? Ne