où il servait comme chef du génie et dont, nommé gouverneur, il avait complété lui-même les travaux, il opposait à l’investissement du général de Treskow la plus inflexible défense.
Henri, quand il descendit du train, respira. Plus de chemin de fer, maintenant ! La ligne s’arrêtait là. On en avait fini avec le supplice des wagons, cet étau glacé où l’on agonisait. Sous la pâleur du ciel, tous les visages lui parurent blêmes, contractés de souffrance ; les huit jours du double trajet y laissaient un stigmate. Comme la route allait être bonne ! Qu’il serait doux de se dégourdir les jambes, de marcher en soldat, et, le soir, de trouver aux villages le repas et le gîte. Tant bien que mal, dans la gare pleine d’un vacarme, parmi l’encombrement fou des trains amassés sur des longueurs de kilomètres, le régiment débarquait. Dans la neige foulée, autour des garages, étaient épars des pains à l’abandon, et çà et là des tronçons de sucre, des quartiers de lard, des petits tas de grains de café vert. Distribution ou pillage ? Mais le bataillon se reformait. Henri vit passer son oncle. Droit dans son macfarlane, visage tendu de volonté, le colonel dominait sa préoccupation anxieuse, — se battre dans ces conditions ! — et l’élancement aigu que lui causait son rhumatisme à l’épaule droite, — son mauvais bras ! Seul, dans la face impassible, aux yeux graves, le tremblement de la barbiche blanche disait la lutte intérieure.
Lorsqu’on se mit en marche, il y eut un moment douloureux : le sac écrasant le dos, la lourdeur des pieds gonflés se meurtrissant au sol durci, l’étreinte de la courbature à secouer. Beaucoup se traînaient clopin-clopant. Puis le rythme mordant des clairons, jetant l’entrain de la marche au soleil d’Afrique, redressait pour quelques minutes les échines. Henri rejetait l’idée de son premier voisin de wagon, la vision de cette tête cireuse dont jamais plus les lèvres ne frémiraient à l’embouchure de cuivre. Sa fatigue s’envolait, avec le poids de tant d’impressions mauvaises. Allégé, il humait l’air glacial qui lui vivifiait les poumons ; sa poitrine s’enflait, dans une plénitude de force et d’espoir. Il regardait avec une supériorité martiale ses camarades de rang, le pittoresque horizon dont chaque village, dans l’éloignement des plans montagneux, chaque masse d’arbres, noire sur la neige, lui apparaissaient comme enveloppés de gloire, théâtre possible d’un triomphe. Était-ce là, ou là, qu’il se distinguerait, forcerait l’estime du vieux Du Breuil et l’admiration du bataillon ? Qui sait la