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« pour que l’œuvre de régénération et de réconciliation portât des fruits, pour qu’elle amenât une modification sensible dans les relations des classes entre elles, il faudrait, a dit John Morley, traduisant la pensée des directeurs du mouvement, un settlement pour 20 000 âmes. » On est encore loin de ce chiffre.

J’ai visité plusieurs de ces settlements. On m’avait averti que ces visites ne m’apprendraient pas grand’chose. « Vous verrez des bâtimens ; on vous ouvrira des salles dont on vous expliquera l’appropriation, et voilà tout. Pour savoir ce que c’est qu’un settlement, pour se former une idée de ce qu’on y fait, il faudrait y vivre et y travailler quelque temps. » Rien de plus juste. D’ailleurs, c’était le matin, au mois de juillet : l’heure et la saison étaient également défavorables. « Venez nous voir l’hiver, m’a-t-on dit à Toynbee Hall, surtout, venez le soir. » Et à Passmore Edwards : « C’est à cinq heures que nous devenons intéressans. De cinq à huit, c’est l’heure des enfans. La soirée appartient aux adultes. » En effet, quand j’ai visité Passmore Edwards, je n’y ai trouvé en activité que l’école des petites filles et l’atelier de couture. Le grand gymnase, tout neuf, admirablement installé, ventilé, éclairé, était parfaitement désert. A Toynbee Hall, personne dans le salon de réception ; personne dans la salle des conférences, qui peut contenir plusieurs centaines d’auditeurs. Un cabinet de travail, entouré de livres, où l’on m’a permis de jeter un regard, était vide, également. Dans la galerie, nulle figure humaine, si ce n’est le portrait de Browning, donné par le poète et orné de sa belle signature. Dans la cour de tennis, deux joueurs s’exerçaient. La maison semblait endormie : une oasis de fraîcheur et de silence au milieu du désordre et du bruit. Les lieux ont leur physionomie, parfois décevante, parfois suggestive, toujours bonne à observer. Une idée m’avait traversé l’esprit en visitant Passmore Edwards : « Un couvent ! cela ressemble à un couvent. » J’avais presque chassé cette idée : elle me revint, beaucoup plus nette, à Toynbee Hall et prit possession de moi. Le salon était bien un parloir de couvent ; le cabinet de travail ressemblait fort à certaine cellule monastique où j’ai travaillé. Jusqu’aux vérandas et aux galeries qui prennent, sans le savoir et sans le vouloir, des airs de cloîtres.

L’apparence de mon conducteur n’était pas pour dissiper l’illusion. Un grand vieillard aux cheveux presque blancs, très droit, très majestueux et très doux, au regard direct, à la parole