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œuvre. Les Trade unions n’ont pas un sou à donner pour ces sortes de choses. Les Sociétés coopératives dépensent, bon an mal an, plus de 1 200 000 francs pour l’éducation, mais c’est à l’instruction primaire et à l’instruction technique que va tout cet argent ; de l’instruction universitaire, elles n’ont cure. En général, il règne dans ces sociétés populaires que nos pères ont connues si hardies, si vigoureuses, si agissantes et, à certains égards, si menaçantes, un étrange engourdissement, une tendance au repos et presque au sommeil. « Quoi ! demandent les ardens du parti, est-ce assez pour vous d’avoir obtenu quelques livres de thé et de sucre à bon marché, introduit un peu de confort dans vos misérables intérieurs, arraché à vos maîtres un inutile bulletin de vote ? La grande bataille reste à livrer, et c’est sur le terrain de l’instruction supérieure que vous gagnerez définitivement vos droits d’hommes et de citoyens. Réveillez-vous, reprenez vos armes et en avant ! »

Je ne sais si ce langage sera entendu, et si ce conseil sera suivi. Dans le cas contraire, l’avenir des Ruskin Halls est incertain. M. Vrooman a commis une grosse erreur historique lorsqu’il a dit que son collège était le premier qui eût été fondé à Oxford pour l’avantage des pauvres. C’est le contraire qui est vrai. Tous les collèges d’Oxford ont été fondés en vue de ceux qui avaient leur fortune dans leur cerveau. On sait ce qu’ils sont devenus. Peut-on affirmer que Ruskin Hall, livré à lui-même, ne subira pas une lente transformation de ce genre ? J’ai vu la Charte d’incorporation et je n’ignore pas ce qu’elle stipule : on n’enseignera pas les langues classiques à Ruskin Hall. D’autre part, les étudians sont trop pauvres pour se donner les laboratoires et les appareils nécessaires à l’étude des sciences expérimentales ; ils sont trop ignorans pour aborder les hautes mathématiques. Dans ces conditions, on ne peut songer à annexer Ruskin Hall à l’Université. Oui, mais ce qui est vrai aujourd’hui le sera-t-il dans vingt ans, dans un demi-siècle ? Nul n’aurait le droit de l’affirmer. Si M. Vrooman revenait au monde vers l’an 2000, peut-être trouverait-il sa maison occupée par des fils de lords et d’évêques, par tout un monde sélect au milieu duquel quelques boursiers, pourvus de grasses scholarships, démentiraient les intentions démocratiques du fondateur en ayant l’air de les rappeler.

Voilà ce que l’expérience du passé fait pressentir et voilà ce