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tandis que Colfavru et M. Henri Brisson mettaient un espoir infini dans la démocratie allemande, les loges prussiennes invitaient leurs membres à célébrer le roi Guillaume, « boulevard et chef de la patrie, » à fêter sa « couronne de vainqueur, » à saluer en lui le « maître, » à porter un Hoch aux couleurs du drapeau prussien, à chanter « l’épée du Prussien, prête à la défense du trône et du troupeau, aux combats dont la vie et la mort sont l’enjeu, » et à proclamer, enfin, que « la patrie de l’Allemand doit être toute l’Allemagne. » Mais la maçonnerie française respectait l’intimité de l’Allemagne ; et, quel que fût son désir d’instruire le parti républicain, elle ne pouvait, en ce qui regardait l’Allemagne, que le confirmer dans ses erreurs.


III

Le 30 juin, au moment où quelques jours à peine nous séparaient de la déclaration de guerre, Thiers, qui voyait s’enténébrer les crêtes des Vosges et les mamelons de la Forêt-Noire, opprimait du poids de son ironie ceux qui se plaignaient que la France eût 400 000 hommes sous les armes : « On appelle cela la paix armée, s’écriait-il, qu’on dise plutôt : la paix désarmée. » Jules Favre, alors, de répliquer qu’il n’y avait point à être inquiet : « Les préoccupations militaires, affirmait-il, décèlent des projets ourdis dans l’intérêt de la dynastie[1]. » Ce fut là le dernier mot de l’opposition républicaine au sujet des questions militaires, et comme le suprême résumé de cette politique d’utopistes dont Garnier-Pagès, Jules Simon, Jules Favre, M. Magnin avaient été les naïfs avocats, et que Taxile Delord, dans son Histoire du Second Empire, devait, peu de temps après, reléguer dans une indulgente pénombre. « Si toute l’Europe était civilisée, libre et républicaine, de l’Oural à l’Atlantique, il n’y aurait plus de guerre : » l’axiome avait été formulé par M. Buisson dans la revue les États-Unis d’Europe. Et l’opposition républicaine s’était mise à travailler pour la « civilisation, » pour la « liberté, » pour la « République universelle. » Il était trop tard ou trop tôt pour cette emphatique besogne : la guerre survint.

  1. A ce moment même se fondait en Dauphiné, sous les auspices de MM. Bovier-Lapierre, Oscar Durand-Savoyat, Edouard Rey, futurs membres des assemblées républicaines, un journal qui arborait comme programme : « la suppression des armées permanentes et la création de milices nationales pour garantir l’indépendance du pays. »