Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 161.djvu/841

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la guerre ; car il en attendait, comme conséquence, un soulèvement de l’opinion publique européenne, l’abolition des monarchies et la liberté des peuples. Mais son compatriote Bronislas Wolowski, ancien insurgé lui aussi, avait apparemment l’âme plus tendre ; car il s’opposait à ce que la défunte Pologne pût recouvrer au prix d’un crime l’existence et le bonheur ; or, la guerre était un crime ; et c’est pourquoi Bronislas donna la signature de protestation, que Bossak refusa. Ce bref congrès, fort gêné, fort essoufflé, se termina sans éclat, par le vote d’un appel aux peuples de l’Europe :


Une horrible guerre, une guerre barbare, vient d’éclater entre deux peuples civilisés.

Nous ne pouvons l’empêcher ; elle suivra son cours. Cependant, nous avons regardé comme notre devoir le plus sacré de proclamer de nouveau, à la frontière immédiate des deux nations belligérantes, que de viles guerres, qui n’ont pas pour but l’affranchissement des peuples, mais la satisfaction d’ambitions dynastiques, ne pourront être évitées que quand les peuples posséderont le libre gouvernement d’eux-mêmes et décideront de leur propre sort… Que les peuples jurent avec nous de travailler à conquérir les formes de gouvernement qui rendront à jamais impossible le renouvellement de ces luttes féroces et amèneront, conformément aux principes de notre ligue, l’avènement des Etats-Unis d’Europe !


Depuis 1867, on le voit, la Ligue de la Paix et de la Liberté n’avait rien appris ; et cette nouveauté des « Etats-Unis d’Europe, » dont elle célébrait sans cesse l’avènement, avait l’aspect pitoyable d’un archaïsme qui n’a jamais vécu.

La maçonnerie française, elle aussi, pratiquait à merveille l’art de se comporter à contretemps : nous en avons pour indice les travaux auxquels se livrèrent certaines loges, à Marmande, à Bordeaux, à Nancy, durant ce mois de juillet où les hostilités s’engageaient. Les Enfans de Gergovie, de Clermont-Ferrand, suppliaient la maçonnerie française « d’étendre ses bras au-dessus des champs de bataille et d’inviter toutes les loges d’Allemagne à resserrer plus que jamais la chaîne d’union en leur envoyant un baiser fraternel. » Et les jours se succédaient, lamentablement décisifs : et les champs de bataille au-dessus desquels la maçonnerie française était priée d’étendre ses bras se rapprochaient de Paris. A vue d’œil, sur les cartes, on les sentait se déplacer, et l’on pouvait à l’avance marquer l’étape qui le lendemain serait arrosée de sang… L’une de ces étapes s’appela Sedan : la France y fut meurtrie, l’Empire y fut tué.