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Je vois en même temps le meilleur et le pire ;
Noir tableau !
Car la France mérite Austerlitz, et l’Empire
Waterloo.


Lorsque l’ennemi piétine notre sol, lorsqu’il le baigne de notre sang, il est une infortune plus grande que toutes celles dont il nous humilie : c’est le doute où volontairement nous nous précipitons en nous demandant où est la patrie. On savait, avant 1789, qu’en servant le panache blanc du Bourbon, l’on servait la patrie. Mais la lutte du jacobinisme et de l’émigration fut pour l’idée de pairie, sur la terre de France, ce qu’avait été le grand schisme pour l’Église ; les émigrés, qui étaient avec le roi, croyaient être avec la France ; et les Jacobins furent la France. Ce schisme dura peu ; et, lorsqu’on observe les vicissitudes de la légitimité monarchique au XIXe siècle, on constate, chez les plus fidèles, une lente dissociation entre l’idée du roi légitime et celle de la patrie : le roi cesse de leur apparaître comme l’incarnation de la France. Peut-être, lui absent, cette France est-elle décapitée, mais du moins n’est-elle pas tout entière avec lui : elle ne le suit pas en exil, comme il paraissait aux émigrés du XVIIIe siècle que la patrie avait suivi le roi. Si trente ans suffisaient pour rasséréner l’histoire, on pourrait soutenir que Bazaine, subordonnant l’intérêt du pays à celui de la dynastie impériale, reprenait en fait, au bénéfice de l’Empire, l’antique raisonnement des émigrés au bénéfice de la royauté : la France, pour lui, c’était apparemment le prisonnier de Wilhelmshöhe. Mais la riposte lumineuse de M. le Duc d’Aumale : « Il restait la France, » mit, deux ans plus tard, un sceau définitif sur cette histoire du passé monarchique, qui volontiers identifiait le pays avec le souverain. La France, en effet, était restée ; et Bazaine, volontairement enfermé dans Metz dont il se faisait une Byzance, seul à seul avec lui-même et défiant de tout autre que lui, cherchait nonchalamment où était la France, lorsque déjà, depuis longtemps, la France avait répondu. Les hommes du Quatre-Septembre, à demi complices et à demi instrumens d’une insurrection plus forte que l’Empire et plus forte qu’eux-mêmes, prirent une contenance et rendirent une contenance à la patrie en disant : la France, c’est nous. C’était trop complexe encore : mais le même phénomène de génération spontanée donne naissance aux Républiques et puis aux dictateurs ; il suffit à Gambetta de quelques gestes décisifs pour que