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francs-tireurs, et mener brillamment à terme une guerre de partisans ? Les soldats du César allemand, refoulés jusqu’au Rhin, laisseraient libres, à jamais, le temps et l’espace, pour une « ère nouvelle de régénération, d’égalité sociale, de justice et de paix universelle. » S’il avait été loisible à la Ligue de la Paix et de la Liberté, entre 1867 et 1870, d’organiser une force armée pour la défense ou le triomphe des démocraties européennes, Flourens était tout désigné pour en prendre le commandement. Il dut se contenter de cinq cents tirailleurs, à la tête desquels il périt, à l’aube d’avril, dans l’une des sorties qu’essayèrent les troupes de la Commune ; et son trépas, peut-être, fut assez prématuré pour qu’il pût, en expirant, garder quelques illusions sur l’avenir de cette chaotique émeute et imaginer encore qu’elle se dénouerait en une berquinade, dont tous les peuples, devenus frères, se partageraient les rôles.

Flourens, rêvant on ne sait quelles romanesques levées en masse, était l’héritier légitime du vieux parti républicain. Lorsqu’on regarde de près l’histoire de la Commune, on y retrouve, s’essayant à l’application, les thèses aventureuses qu’énonçait l’opposition sous l’Empire et qu’elle commençait d’atténuer depuis qu’elle était devenue gouvernement : telle la théorie de la levée en masse. Un soubresaut de toutes les bonnes volontés ne suffirait-il pas à sauver Paris ? C’est ce que croyait et ce que souhaitait Benoît Malon. Mais Cluseret, plus expert, souriait d’une telle candeur ; il observait que, pour un service quelconque, il fallait commander jusqu’à six, sept, huit et neuf hommes pour arriver à en obtenir un. Les constatations qu’adressaient chaque jour à l’Hôtel de Ville les agens de police occulte qu’on appelait les « reporters Moreau » justifiaient les remarques de Cluseret[1]. Même en maintenant les anathèmes d’antan contre le militarisme, une certaine discipline militaire était donc indispensable : de là les essais de cours martiales, inaugurés à plusieurs reprises durant la Commune, et toujours demeurés infructueux. Car la « cour martiale » était suspecte aux libres citoyens ; cette dernière pousse du système militariste n’était-elle pas le germe d’une trahison ?

Cluseret, durant les semaines où il eut la direction militaire de la Commune, s’abstint scrupuleusement de porter les

  1. Voyez de curieuses citations des « rapports Moreau »> dans les récens Souvenirs de M. le général Bourelly (Correspondant du 10 septembre 1900).