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I

S’il y en a un, le pouvons-nous savoir ? Les contemporains de Louis-Philippe, dit-on, ne croyaient pas avoir un style, et cependant on reconnaît très bien les meubles faits sous Louis-Philippe. C’est là, bien que banal, un paradoxe. Si l’on appelle style d’un objet quelque forme sans beauté qui permette de le distinguer des objets de même nature faits en d’autres temps, toute époque a un style. La locomotive, qui n’a jamais eu de style, différait en 1899 de ce qu’elle était en 1850. Dira-t-on que celle-là et celle-ci avaient leur style ? La forme du chapeau diffère presque chaque année : dira-t-on que chaque année il y a eu un nouveau style ? On dira bien plutôt qu’il n’y a jamais eu de style de chapeau ni de locomotive, parce qu’il n’y a jamais eu de caractère de beauté. On peut aussi distinguer les divers fusils des diverses époques. Cela ne fait pas qu’ils aient un style. On dit : « un fusil de tel modèle » et non « de tel style » (sauf pour les époques de beauté). On dit : un pistolet Louis XIII, mais on dit : « un revolver à percussion centrale, hammerless, à clef, » car il ne se définit que par son utilité.

Il n’est donc pas étonnant que, sous Louis-Philippe, on ne se soit pas aperçu qu’on créait un style nouveau, puisque l’on ne créait pas de style du tout. Mais, aux époques de grand art où quelque nouveau style s’élabora, les contemporains ne s’aperçurent-ils pas que quelque chose changeait autour d’eux ? Il est fort aventuré de le prétendre. Que voudrait dire l’expression More romano qu’on employait au Xe siècle pour qualifier l’arche romane et, au contraire, les mots : Novo ædificandi genere, dont on qualifiait plus tard l’architecture qui la remplaça, ou bien enfin ceux de « goût moderne » dont se servait le graveur Cochin au milieu du XVIIIe siècle quand il parlait du style Pompadour, si l’on n’avait pas, à ces différentes époques, la sensation très nette qu’on changeait de style ? Et quand Philibert Delorme parlait de « voustes modernes que les maîtres maçons ont accoutumé défaire aux églises et aux logis des grands seigneurs, » ou quand Cochin, parlant du style rocaille, dit des décorateurs de son temps : « Nous consentons cependant qu’ils servent cette marchandise tordue à tous les provinciaux et étrangers qui seront assez mauvais connaisseurs pour préférer notre goût moderne