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de l’Âme, ce début de la seconde partie, qui semble un regret, presque une excuse : « Nous sentons le besoin d’avouer que, dans le volume qui précède, nous avons encore sacrifié à la pâle philosophie abstraite, mais, dans ce second volume, nous essaierons un effort plus grand pour mieux sortir de l’abstraction et entrer davantage dans la substance des choses. » Lisez la seconde partie tout entière. Vous y verrez en quelque sorte s’accomplir sous vos yeux la conversion de la connaissance en amour. Sans doute vous retrouverez, par endroits, le philosophe et même le métaphysicien. C’est lui qui définit ainsi le sacrifice : « Soumettre le fini à l’infini pour unir l’un à l’autre ; » c’est lui qui de cette définition même conclut à l’harmonie entre l’ordre de l’intelligence et celui de la volonté : « Soumettre sa chair à sa raison, c’est le sacrifice de la sensualité. Soumettre sa raison à Dieu, c’est le sacrifice de l’orgueil. C’est un procédé moral et pratique analogue au procédé logique et spéculatif qui monte des phénomènes sensibles, placés hors de nous, aux notions abstraites qui sont en nous, et s’élève ensuite aux idées qui sont en Dieu, et qui sont Dieu. »

N’importe, le sentiment domine ici, et, dans l’admirable théorie des deux foyers, dans celle de la transformation par le sacrifice, c’est la chaleur qui s’accroît, encore plus que la lumière. Celui qui démontrait l’existence de Dieu par un procédé de dialectique, démontre l’immortalité de l’âme par les raisons du cœur. « Aimer ! s’écrie-t-il. Il faudrait faire rendre à ce mot un son qu’il n’a jamais rendu. » Il a su le lui faire rendre, ce son d’une puissance et d’une douceur nouvelles, lorsque, répudiant les argumens abstraits « et les raisonnemens sans entrailles, » il n’a voulu retenir en son cœur que « cette simple démonstration de l’immortalité, » démonstration absolument certaine pour qui sait voir et surtout pour qui sait aimer : « Je veux aimer toujours tous ceux que j’aime. Donc ils vivront et je vivrai[1]. »

À mesure qu’il avançait en âge, il ne voulait, il ne savait plus qu’aimer. Il l’a dit lui-même, d’une manière exquise : sa tête, moins fière, se penchait vers son cœur. À la fin de la préface de la Connaissance de l’Âme, il présentait son livre « comme une longue lettre, ou comme une longue visite, à tant d’amis inconnus ou intimes, anciens ou à venir, qui daignent parfois nous chercher, nous appeler, et que nous avons paru négliger. Chères

  1. Connaissance de l’Âme.