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Ce sont là de ses aménités ; et peut-être dira-t-on qu’elles sont de l’époque, ce qui ne sera qu’à moitié vrai. On citera Rabelais, toujours, ou Ulric de Hutten. Mais Hutten ou Rabelais ne sont point des théologiens ; ils ne font point profession d’enseigner la morale ni de réformer la religion ; ils ne se donnent point des airs d’apôtres ! Avouons-le donc plutôt : si l’on ne saurait contredire le petit-fils du tonnelier de Noyon qu’il ne se « débonde, » et ne se déborde en invectives également injurieuses ou salissantes, c’est bien un trait de son caractère colérique, et c’en est un surtout de l’énormité de son orgueil. On l’insulte lui-même ; on l’outrage quand on élève la voix contre la sienne ; et ce qu’il respecte le moins dans ses adversaires, c’est précisément cette liberté de penser qu’il revendique pour lui-même ou plutôt, — car j’ai tort de parler de liberté de penser, — ce sont les droits de « la conscience errante, » puisqu’il est toujours, lui, Calvin, en possession de la vérité.

Hâtons-nous d’ajouter qu’heureusement sa verve ne consiste pas tout entière en ce genre de grossièretés, et c’est en maître qu’il manie quelquefois l’ironie, comme dans ce passage que j’emprunte à son pamphlet contre la secte des Libertins :


Premièrement, comme les gueux de l’hostière, qu’on appelle, ont un jargon à part, qui n’est entendu que de leur confrérie, tellement qu’ils trahiraient un homme parlans en sa présence, sans qu’il s’en aperçût, aussi les Quintinistes[1] ont une langue sauvage, en laquelle ils gazouillent tellement qu’on n’y entend quasi non plus qu’au chant des oiseaux. Non pas qu’ils n’usent des mots communs qu’ont les autres, mais ils en déguisent tellement la signification que jamais on ne sait quel est le sujet de la matière dont ils patient, ni que c’est qu’ils veulent affirmer ou nier. Or est-il vrai qu’ils font cela par malice, afin de surprendre les simples par trahison et en cachette. Car jamais ils ne révèlent les mystères d’abominations, qui sont cachés dessous, sinon à ceux qui sont déjà du serment. Cependant qu’ils tiennent encore un homme comme novice, ils le laissent bailler et transir la bouche ouverte sans intelligence aucune. Ainsi ils se cachent par astuce sous ces ambages, comme brigands en leurs cavernes. Et ce sont ces hauts propos que Saint Pierre et Saint Jude accomparent à des écumes ou bouillons, d’autant que puis après ils n’ont point de suite, mais, en pensant égarer le sens des autres par leur haut style, ils se transportent eux-mêmes, de soi te qu’ils n’entendent rien à ce qu’ils babillent (Opera Calvini, VII, 168, 469).


Ce qu’il y a de plus remarquable, peut-être, dans ces pages et

  1. Il les appelle Quintinistes, du nom d’un certain Quintin, qui était l’un des chefs de la secte.