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le Seigneur lui-même nous a prophétisée, lorsqu’il donne au monde cette éternelle et magnifique loi du progrès, que nul encore ne comprend bien : « Si vous restez dans ma parole, vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous donnera la liberté ? »

L’auteur de la Morale et la Loi de l’Histoire a tout espéré de la loi du progrès. Il a vu le monde moderne entrer de plus en plus en possession de la science physique, « clef des forces de la nature, qui lui permettent enfin de soumettre la terre entière. » Il a vu le genre humain conquérir « l’unité de lieu, » puisque les peuples et les individus peuvent s’entendre instantanément d’un bout du monde à l’autre. « La nécessaire unité d’action peut enfin commencer. » Rappelant l’antique parole du Seigneur : « Est-ce toi qui peux dire à la foudre : Viens ici et va-t-en aux extrémités de la terre ? » il s’est réjoui qu’avec la permission divine, l’homme ait fini par répondre au divin défi. Plus de science, il est vrai, n’est rien sans plus de justice, mais la science même va devenir ouvrière de justice. « La source du mouvement inépuisable est en nos mains. Nous le pouvons multiplier sans terme… L’humanité, en possession de la force physique fondamentale, est en voie d’abolir enfin l’esclavage du travail, qui tue, et de le remplacer par la liberté du travail, qui relève et qui fortifie. »

Dans l’ordre moral et social, le P. Gratry n’attendait pas moins de prodiges, ni de moindres, que dans l’ordre scientifique. « De grands progrès sont accomplis et d’immenses progrès se préparent, toujours à condition que les hommes demeurent dans la loi. » Mais ils n’y demeurent guère, et, depuis la mort de l’apôtre éloquent, trente ans bientôt passés ont trop souvent trahi son espérance. Qu’importe, il faut le louer d’avoir tout espéré et toujours. « L’abominable fléau de la spoliation de l’humble par le puissant dompté presque partout ; » le principe de la libre association vainqueur de la féodalité financière ; le travail devenu plus facile, cédant quelques heures du jour et quelques jours de l’année au repos voulu de Dieu ; la guerre elle-même atténuée d’abord, puis abolie, et « l’héroïque courage, si richement déposé par Dieu dans le cœur d’un si grand nombre d’hommes…, employé non plus à l’extermination des hommes, mais à la lutte intrépide et dévouée jusqu’à la mort contre les maux de toute forme qui accablent l’humanité ; » l’Église enfin consommant entre tous le miracle de l’union parfaite et de la « vie