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cinquante-six qu’on a recueillis dans la grande édition du Corpus Reformatorum ; et on serait tenté de dire qu’en comparaison de son œuvre politique ou sociale, cette œuvre littéraire elle-même n’est rien, ou peu de chose. On se tromperait ! Le talent de Calvin, en son vivant même, n’a pas moins contribué que son caractère à l’autorité de son personnage, et on peut affirmer que, s’il n’était pas l’auteur de son Institution chrétienne, il ne serait pas ce qu’il fut. Oserons-nous dire qu’il ne le serait peut-être même pas, s’il ne l’avait écrite en français, en « langue vulgaire, » comme on disait alors encore ; et en effet, qui se souvient aujourd’hui, en Hollande ou en Allemagne, d’Erasme et de Melanchthon, je veux dire qui les lit, ce qui s’appelle lire, ou qui se soucie de savoir quels hommes ils furent ? Quelques historiens de la Réforme ou de la littérature ! Et cependant on pourrait prouver que leur influence en leur temps, celle du premier surtout, pour être d’une autre nature, n’a guère été moindre que celle de Calvin ou de Luther. Mais, de même que Luther en traduisant la Bible, ainsi Calvin, en écrivant son Institution chrétienne en sa langue nationale, a établi de lui à nous, et à ceux qui viendront après nous, une communication, si je puis ainsi parler, et un contact qui ne s’interrompront qu’avec la durée de cette langue elle-même.

J’ajoute que, si son œuvre française ne fait qu’une petite partie de son œuvre littéraire, elle n’en est pas moins la plus importante. L’Institution chrétienne, à elle seule, c’est presque Calvin tout entier. Trente ans durant, ou peu s’en faut, de 1536 à 1561, l’Institution chrétienne est le livre qu’il a remanié, dont il a modifié, d’édition en édition, le plan, l’économie visible, l’architecture extérieure, mais non pas l’idée première, et encore moins la doctrine. Même on en peut à cet égard recommander l’étude à tous ceux qui ne distinguent pas une « évolution » d’un « changement, » et qui ne savent pas de combien d’expressions d’elle-même, et de « modalités, » et de développemens, et de prolongemens, et d’éclaircissemens, une même idée peut s’enrichir, — et ne pas changer cependant de nature. Aussi, dans l’œuvre entière de Calvin, ne trouverait-on pas, je pense, une seule idée qui ne se rapporte à l’Institution chrétienne, comme à son centre d’attraction. Ni contre les Anabaptistes, ni contre les Libertins, ni contre les Nicodémites, il n’a rien écrit qui ne fût en germe ou en puissance dans l’Institution chrétienne ; et ses Sermons sur la Genèse, ou sur le Deutéronome, ou sur les Psaumes ne sont,