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selon les vraisemblances, ira en s’accentuant à mesure précisément qu’on voudra faire passer plus de force démocratique dans cette machine éminemment aristocratique ; et, de toutes façons, ce n’est pas l’instant de recommencer les copies.

M. le marquis Tanari incline, lui aussi, vers cette opinion : « Sans vouloir insister, dit-il, sur l’incompatibilité qu’il y a, à mon avis, entre l’égalité démocratique et l’idée d’une véritable organisation, — par conséquent d’un parlementarisme vraiment utile, exempt des défauts et de la corruption qui l’ont discrédité dans l’opinion générale, — si le problème doit être posé en ces termes : « Corriger les déformations que le « prototype anglais a subies parmi les peuples occidentaux de l’Europe, » je crains fort qu’il ne soit insoluble. » Et insoluble pourquoi ? À cause, toujours, de la différence des milieux. « En Angleterre, il n’y a pas d’égalité démocratique, mais il y a des classes qui sont à peu près des ordres. La royauté y conserve un prestige puissant, et l’aristocratie y jouit de privilèges et d’institutions remontant à une haute antiquité. L’Angleterre vit encore d’une tradition historique dans laquelle et par laquelle les élémens disparates s’équilibrent et s’harmonisent suffisamment, malgré les modifications que le temps y a apportées. — Et ces constatations, si je ne me trompe, observe spirituellement l’honorable sénateur, valent bien l’Océan du prince de Ligne ! »

Je sais qu’il y aurait à dire là-dessus, et que ces constatations, pour vraies qu’elles soient dans leur ensemble, étaient plus rigoureusement vraies de l’Angleterre d’il y a un demi-siècle que de l’Angleterre d’à présent. Ce serait aller un peu loin que de prétendre qu’il y a, en Angleterre, une « égalité démocratique ; » mais tout de même il y a une espèce « d’égalité britannique, » et comme une commune fierté du Civis britannus sum, qui est entre tous les Anglais une égalité plus réelle sans doute que notre égalité, toute verbale et oratoire, d’ici. Ce serait aller presque aussi loin que de vouloir qu’il n’y ait plus de classes en Angleterre ou que ces classes n’y soient plus des ordres. Si, il y a encore en Angleterre des classes, mais elles se compénètrent davantage, et elles sont encore à demi des ordres, mais on y entre. Ce serait, enfin, nier l’évidence que de nier que la royauté conserve, de l’autre côté du détroit, un prestige puissant et même récemment renforcé par le concours de diverses circonstances : le règne long, prospère et glorieux d’une femme, l’immense accroissement de l’Empire, etc., etc. ; circonstances dont la moindre n’est peut-être pas, si paradoxal que cela paraisse au premier abord, la perte ou l’abandon volontaire par la Couronne d’à peu près tout son pouvoir effectif, de sorte