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le parlementarisme doit être réel ; le parlementarisme peut être construit.

Mais, qu’on le construise, durera-t-il ? — interroge-t-on ; — et j’ai quelque regret, pour ce que le mot a de raide et d’architectural, pour ce qu’il comporte de permanence et d’immobilité, d’avoir peut-être abusé du verbe : construire. Il faut en prendre notre parti. Dans le monde sans cesse agité par tant de secousses ; où la loi, qui jadis était conservatrice par excellence, est elle-même devenue un agent de transformation ; et sur lequel pèse toujours, en un point d’application bien choisi, l’irrésistible levier du Nombre érigé en toute-puissance ; dans ce monde qui nous est fait, nous ne construirons plus pour des siècles : tâchons au moins de planter une tente pour des années. Dans le monde moderne, emporté d’un mouvement rapide, l’idéal n’est pas désormais d’avoir des institutions très solides, très résistantes, mais au contraire des institutions très souples, très plastiques, qui fassent, aux sociétés et aux nations comme une enveloppe, qui leur soient comme un tissu extérieur, et qui se prêtent à toutes leurs évolutions.

Ce qu’elles dureront, nul ne le sait ; mais on sait d’abord qu’elles ne dureront pas, comme autrefois, simplement, en durant ; qu’elles ne dureront qu’en se modifiant ; qu’elles dureront d’autant plus longtemps qu’elles se modifieront plus aisément ; et qu’elles se modifieront d’autant plus aisément qu’elles suivront de plus près la réalité ; ensuite on ne voit pas pourquoi elles ne dureraient pas autant qu’a duré dans le passé le parlementarisme à l’anglaise ; et enfin, on peut être assuré qu’elles dureraient beaucoup plus qu’il ne saurait durer à l’avenir ; puisque, dès à présent, et sur le continent du moins, n’étant plus en harmonie avec le milieu ; n’étant plus conforme aux conditions et aux circonstances ; incapable de maintenir l’équilibre entre l’état social et le régime politique aussi bien qu’entre les fonctions et les organes de la vie politique d’un peuple ; impuissant à donner ce gouvernement par séparation et par relation des pouvoirs publics qu’est par définition le régime parlementaire ; dès ce moment, il est jugé et il est condamné : il est mort.


CHARLES BENOIST.