- Et la Bresse a pour nous je ne sais quoi de tendre
- Et d’intime qu’ailleurs on ne saurait trouver.
- Allons, c’est dit, Bressans, j’ai fini de rêver.
- Sous mes rosiers fleuris, à côté de ma blonde,
- Je finirai mes jours sans avoir vu le monde,
- Heureux qu’un petit bois verdisse à l’horizon
- Ou qu’une vigne grimpe autour de ma maison.
Tel Horace à Tibur : Angulus ille præter cæteros ridet. La grande affaire ici-bas, c’est d’être heureux, et le bonheur est à portée de notre main :
- Que faut-il pour être heureux en ce monde ?
- Avoir à sa droite un pot de vin vieux,
- En poche un écu, du soleil aux yeux,
- Et sur ses genoux sa petite blonde.
Passer le jour à rien faire et la nuit à dormir, flâner la pipe aux dents, boire la rincette au cabinet du père Un tel et prendre la taille à la fille du cabaretier, courtiser une jolie fille qui n’est pas tigresse, et, si Jeanne est infidèle, l’oublier avec Annette, s’accommoder du temps qu’il fait et se tenir en joie, à coup sûr ce n’est pas un idéal très noble. Le poète s’en contente, l’ayant trouvé dans l’héritage de ses aïeux gaulois.
Il est aisé de voir par-là sous quel aspect devait lui apparaître sa province et par où elle a pu le charmer. La Bresse, telle qu’il la dite dans les Emaux bressans, est la terre plantureuse, de vie grasse, insouciante et molle. Les histoires de ripailles et de longues beuveries tiennent une grande place dans cette poésie haute en couleur, et les originaux qu’on y voit défiler ont volontiers la mine enluminée et la trogne fleurie. Les scènes prises sur le vif et copiées sur nature dans ce milieu de petites gens et de bons buveurs font songer à celles qu’on voit dans les tableaux des peintres flamands. C’est un marché où grouillent les bêtes et les gens, c’est une « vogue » où déborde dans un trop plein de vie animale une gaieté vulgaire et bruyante, c’est un réveillon qui s’achève dans une odeur chaude et fade de mangeaille. Voici une guinguette où garçons et filles chantent, dansent et s’en vont tirer leur broc à la futaille ; voici une salle où il fait bon se chauffer à l’âtre où les marrons cuisent sous la cendre, voici un intérieur de campagnards où les vieux se courbent sur le berceau où dort le nouveau-né. Cependant le paysage vaut par la simplicité de ses lignes et la modestie de ses aspects : c’est un bouquet d’arbres au