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pendant que les augures émettaient leurs sentences, où perçait, malgré tout, un regret et presque un blâme de l’indiscipline de M. Millerand, les organes du néo-socialisme répétaient à tous les échos qu’aucun ministère ne pourrait plus se constituer sans qu’une part leur y fût faite. De sorte qu’au moment même où les congrès affirmaient que le cas de M. Millerand ne devait pas constituer un précédent, les amis du ministre disaient encore plus haut qu’il n’y aurait plus en France de gouvernement sans eux. Et, au fond, c’est là ce qu’ils veulent. Ils veulent influer sur le gouvernement, non plus du dehors, mais du dedans. Ils ont été assez longtemps exilés de ce paradis politique : après y être entrés, ils ne supportent pas l’idée d’en sortir. Les obscures formules des Congrès n’ont à leurs yeux qu’une portée philosophique. En somme, ils sont logiques. Un premier pas doit en déterminer d’autres : ne dit-on pas que c’est le seul qui coûte ? Lorsqu’on a fait des coalitions avec les partis bourgeois pour entrer à la Chambre, et lorsque, une fois à la Chambre, on y a vécu de compromis avec les groupes les plus variés, il est un peu tard pour afficher les scrupules d’une conscience qui ne devient intransigeante qu’à l’heure où il s’agit de constituer un ministère. Pourquoi ce qui était permis dans un cas serait-il défendu dans l’autre ? Nous avons sans doute éprouvé une douloureuse surprise lorsque M. Waldeck-Rousseau a offert un portefeuille à M. Millerand ; mais, si M. Millerand l’avait refusé, notre surprise aurait été mille fois plus grande : elle aurait dépassé toute mesure. Les vieux socialistes ont beau s’écrier que le parti s’est embourgeoisé. Eh ! sans doute : mais c’est précisément le caractère de l’évolution que nous avons signalée. Autrefois, le parti se composait presque exclusivement d’ouvriers, et il était conduit par quelques apôtres illuminés : nous le voyons bien changé, et jamais ce changement ne s’était manifesté d’une manière plus éclatante qu’au dernier Congrès international. Quelle différence avec le premier Congrès que M. Guesde a tenu à Montpellier il y a plus de vingt ans ! On ne voyait que des ouvriers et quelques hommes sombres au Congrès de Montpellier : on a surtout vu des bourgeois, des avocats, des professeurs, de riches propriétaires, et quelques hommes d’affaires au Congrès de Paris. Il faut croire que le socialisme, lui aussi, est arrivé. Beaucoup de gens, qui l’ont jugé une force, s’y sont ralliés ; c’était une valeur en hausse, ils en ont pris ; et c’est ce qui lui a donné l’air correct, vraiment bourgeois et presque cossu dont tout le monde a été frappé à la salle Wagram.

Ce néo-socialisme est-il plus ou moins dangereux que l’ancien :