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dépit des droits douaniers protecteurs. A un moment donné, l’écart des prix était tel que les usines russes avaient songé à exporter de la fonte ou de l’acier, éloquent exemple de ce que peuvent être de nos jours les perturbations industrielles. Hâtons-nous d’ajouter que, sous l’influence de la bonne récolte de 1900, l’aspect des choses changera bientôt en Russie, où la crise, ayant éclaté prématurément, alors que la prospérité atteignait son apogée dans les autres pays, se terminera sans doute à une époque plus rapprochée.

Mais cette situation constitue une exception, nous pourrions presque dire une anomalie. La solidarité des peuples devient chaque jour plus étroite. Chaque pays dépend, non seulement de sa propre activité, mais de celle de tous les autres. Les anciennes barrières sont brisées ; les théories, jusqu’ici admises sans discussion, sont ébranlées : l’Angleterre, en présence de l’âpre concurrence qu’elle sent sourdre de divers côtés, notamment en Allemagne, aux Etats-Unis, se demande avec quelque angoisse si le libre-échange, sur lequel sa politique commerciale est fondée depuis plus d’un demi-siècle, est destiné à lui rendre dans l’avenir les mêmes services que par le passé. Il y a peu de jours, nous lisions dans un journal financier londonien l’éloge de la Hongrie, qui, pour favoriser ses industries naissantes, leur fait une situation privilégiée, les exempte d’impôts, de droits de timbre, les soustrait en un mot aux charges qui pèsent sur les autres citoyens. L’auteur de l’article plaignait l’industriel anglais, qui, disait-il, lutte individuellement, non pas contre d’autres individus allemands, autrichiens, américains, mais contre l’Allemagne, l’Autriche, l’Amérique. Ce sont là, en effet, deux traits frappans de la situation contemporaine : union des industriels de chaque pays, pour être plus forts dans la lutte économique ; effort fait par beaucoup d’Etats pour encourager et protéger les industries, nées sur leur sol. Cette protection, qui s’est d’ailleurs manifestée déjà maintes fois au cours des siècles passés, ne se traduit pas seulement par l’établissement de droits de douane à l’entrée, qui en sont la forme rudimentaire ; elle va jusqu’à accorder à certains produits des bonifications à la sortie des frontières : c’est ainsi qu’en France les sucres étrangers acquittent 10 francs par quintal avant de pénétrer chez nous, et que nos sucres indigènes exportés reçoivent, au moment de leur passage à la douane, une prime. C’est ainsi que, avant de se séparer au mois