vérité, l’histoire, le sens commun, s’arrangeront ensuite comme ils pourront. Pourquoi donc des « avertisseurs d’incendie » sur les vieilles idoles de Java, dont l’archaïsme, assurément, est mis là à une rude épreuve ? Parce qu’il n’existe pas de considération d’archaïsme pour prévaloir, dans une exposition, contre une considération de sécurité. S’il fallait même, pour bien les « assurer, » une large plaque d’assurance sur la figure de chaque idole, toutes les idoles auraient sur la figure une large plaque d’assurance ! Et pourquoi le vieux temple, qui est une ruine à Java, devient-il, au bord de la Seine, un joli four crématoire tout battant neuf ? Parce que la simple reproduction des ruines n’eût fait, là où on l’eût mise, qu’une figure insuffisante, et qu’il fallait faire figure. Et pourquoi, dans les Indes anglaises, la panthère, le sanglier, la perdrix, l’éléphant, le singe, l’ibis et le serpent se présentent-ils tous en famille, et forment-ils ce touchant phalanstère ? Parce que cette fable attroupe, et qu’il s’agit, avant tout, d’attrouper. Et pourquoi l’Inde affamée s’incarne-t-elle dans des Indiens bien peignés, bien nourris, bien chamarrés ? Parce que la famine n’est pas, et ne peut pas être, article d’exposition. Et pourquoi, au restauraut chinois, l’intention de manger des ailerons de requins aboutit-elle presque invariablement au beefsteak ? Parce qu’un restaurant chinois, dans une exposition, doit être un restaurant, avant d’être chinois. Et pourquoi les femmes dahoméennes jouent-elles, du matin au soir, sur leur pirogue renversée, une scène aussi continue, et peut-être aussi peu dahoméenne ? Parce que la scène est gaie, parce que le Dahomey ne l’est pas, et parce qu’il est d’autant plus nécessaire de le rendre gai qu’il l’est peu. Et pourquoi l’Andalousie — au temps des Maures — nous recommande-t-elle le chocolat Menier ? Parce que les véritables Maures et la véritable Andalousie ne devaient pas, selon toute apparence, suffisamment comporter les annonces, et qu’une exposition ne va pas, n’est jamais allée, et n’ira jamais sans annonces. Et pourquoi un théâtre cambodgien aussi extra-cambodgien ? Et pourquoi, surtout un théâtre égyptien, quand l’Egypte et le théâtre s’excluent ? Toujours par la nécessité d’amuser et de racoler, et parce que tout, dans une exposition, cède à cette nécessité. Quoi de plus attirant qu’un théâtre ? — Rien ! — Nous ouvrirons donc un théâtre égyptien ! — Mais il n’y a jamais eu de Théâtre égyptien ! — Nous y jouerons des sujets égyptiens ! — Mais vos sujets, comme sujets égyptiens, ne sont que des sujets turcs, arabes ou
Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 162.djvu/215
Apparence