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nécessaires. M. Bresson n’eut donc que quelques heures à passer au Palais-Royal. La moitié au moins de ce temps précieux fut employée par lui à faire, avec mille détails dont chacun avait son prix, le tableau de toutes les misères qu’il devait subir au milieu d’une population dont la meilleure partie, la plus amicale pour nous, était à la fois suppliante et furieuse. Le roi l’écouta très attentivement sans ouvrir la bouche. Puis, quand enfin il fallut partir : « Que puis-je vous dire, mon cher Bresson, lui dit-il ; vous connaissez mes engagemens ? la situation vous est aussi connue, mieux qu’à personne. Je m’en fie à votre zèle et à votre intelligence ; ce que vous ferez sera bien fait. » Il n’y eut pas moyen de tirer une parole de plus, et, comme M. Bresson insistait pour avoir un commentaire d’une instruction si peu claire : « Le temps vous presse, reprit le roi, il faut que vous soyez présent à l’ouverture du débat. Partez donc ! » et en parlant il le poussait doucement vers la porte, puis, le suivant quelques pas, il ne le perdit pas de vue qu’il ne l’eût vu descendre l’escalier au pied duquel l’attendait sa voiture attelée.

Malgré l’équivoque et la réticence, pour un bon entendeur, l’intention du roi était évidente : il restait décidé à refuser la couronne pour son fils, mais il désirait que l’offre lui fût faite pour être en mesure de la décliner. Outre que l’une des deux élections était évidemment la seule manière de prévenir l’autre, il n’était pas absolument fâché de prendre sa revanche du mauvais procédé de l’Angleterre, en lui faisant un instant la peur d’une extrémité belliqueuse dont personne à Londres, et moins que tout autre le cabinet libéral, n’avait au fond plus envie que lui. Enfin, au milieu de l’agitation révolutionnaire qui régnait partout en Europe et dont, dans tous les cabinets, on était plus inquiet encore qu’irrité, il y avait quelque avantage à apparaître comme maître de déchaîner à son gré une force qu’il avait le mérite de contenir. Le rôle de l’Eole de la Fable tenant en main la clef de l’outre des tempêtes n’avait rien qui pût déplaire à un héritier d’Henri IV et de Louis XIV.

De savoir maintenant si ces divers motifs, dont il ne se rendait peut-être lui-même qu’imparfaitement compte, avaient, à un point de vue purement moral, une égale valeur, si une déclaration nette, faite dans un sens ou dans l’autre, au risque de tout sacrifier ou de tout braver, n’eût pas été plus conforme à un modèle de droiture parfaite, c’est un cas de conscience que je laisse