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ment, notre foi, des ressources immenses, de quoi sauver vingt fois la situation, ces hommes qui, dès le premier jour, ont désespéré et qui maintenant, n’ayant rien su tirer du don absolu de deux millions d’êtres, non seulement vont les livrer, mais la France avec eux, des armées peut-être capables de se battre encore, le sol des provinces où, du réservoir de trente-huit millions d’habitans, une source de soldats nouveaux, si on le voulait, pourrait jaillir. Mais quoi ! Il a suffi que Vismarck menaçât d’une restauration, ajoutant : « Un gouvernement qui provoquerait chez vous la guerre civile nous serait plus avantageux que préjudiciable ! » Il a suffi qu’il parlât de rassembler l’ancien Corps législatif ; qu’il dît que, dans l’état de ruine et de décomposition du pays, il valait mieux, ne pouvant convoquer une assemblée, la prendre toute faite. Et, le lendemain, Favre, après être revenu ici en délibérer, a confirmé ses propositions de la veille : armistice général avec ravitaillement, convocation d’une Assemblée qui traiterait définitivement de la guerre ou de la paix ! Et voilà le pays entier ligotté ! Car, lorsqu’il aura soufflé, comment espérer qu’il reprenne l’écrasant fardeau ? L’Assemblée, c’est la paix ! En échange, les Allemands occuperaient les forts, sans entrer dans Paris. Ce dernier point est en suspens, comme le sort de l’armée et de la garde nationale… Je n’ai pas d’espoir, Favre sera joué, il n’est pas de taille. J’ai vu Bismarck en 67. Je les évoque, à la table où se débat notre sort : lui, colossal, épaules carrées, torse bombant sous son uniforme de cuirassier blanc, avec un visage épanoui de ruse et de force ; en face, Favre écrasé, maigre et lugubre dans les plis de sa redingote, ses cheveux longs, pendans… Bismarck lui a dit : « Vous avez beaucoup blanchi depuis Ferrières, monsieur le ministre. » Et tous les deux échangent les mots fatidiques. Favre insinue, plaide, larmoie. Bismarck tranche, avec une politesse presque goguenarde. On stipule les détails de l’enterrement, comme si la nation était morte. Et pendant ce temps, là-bas, aux armées, on travaille, on se réorganise ; Chanzy répare ses brèches ; Bourbaki n’a pas dit son dernier mot ; Gambetta est à Lille, avec Faidherbe, essayant encore une fois de ranimer la flamme ! Paris n’a plus de pain ? Soit, puisqu’on l’a conduit là, eh bien ! qu’on laisse ouvrir ses portes à coups de canon ! Que l’Allemagne entre et gouverne, si elle le peut ! Au milieu de quelles difficultés se débattrait-elle ? Qu’à ses risques et périls elle désarme donc quatre cent mille hommes, envoie, dans ses