Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 162.djvu/294

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
290
REVUE DES DEUX MONDES.

allaient affluer, ce serait du bion-être, la guérison pour Nini. Déjà elle était mieux !

À travers la fenêtre close, dans le grand silence que faisait l’arrêt du bombardement, le bourdonnement de la ville montait, appels étouffés de la générale, cloches des tocsins. Le faubourg Saint-Antoine bouillonnait. Trente-cinq bataillons de la garde nationale élisaient pour généralissime et pour chef d’état-major les socialistes Brunel et Piazza. Du côté de Saint-Cloud, le ciel était rouge. Ce que les Prussiens n’avaient pas encore brûlé achevait de se tordre en un colossal brasier. Cent maisons barbouillées de pétrole dardaient leur feu de joie, flammes échevelées, reflets sanglans.

Le lendemain, nouvelle note du gouvernement. Arguant du manque de pain qui vouait à une mort certaine deux millions d’hommes, de femmes et d’enfans, et, s’abritant derrière la nécessité du ravitaillement, l’homélie mouillée de larmes annonçait que la convention n’était pas encore signée, le serait dans quelques heures. La garde nationale conservait son organisation et ses armes ; une division de 12 000 hommes demeurerait constituée, le reste de la mobile et la ligne, prisonnières libres dans Paris, garderait ses drapeaux ; l’épée était laissée aux officiers.

Sous le ciel sombre et froid, par toutes les portes, l’armée commençait à refluer. La rue était tumultueuse, des clubs en plein vent se formaient au coin des trottoirs ; l’indignation publique s’y exhalait contre Trochu, criait au jésuite : « Le Gouverneur de Paris ne capitulera pas… ! » On maudissait « Ferry affameur. Picard réactionnaire, Favre, Simon, Arago, ces bons à rien d’avocats. » Beaucoup regrettaient de n’avoir pas soutenu la Commune plus énergiquement. Quantité continuaient à réclamer la sortie en masse, un chef pour se battre ! Des gardes nationaux parlaient d’aller se joindre aux marins qui, disait-on, refusaient de rendre les forts. L’effervescence était au comble.

Mais on apprenait qu’une tentative d’émeute venait d’avorter. Brunel et Piazza, poussant vers les secteurs des bandes de gardes nationaux, pour s’emparer d’armes et de munitions, sont arrêtés. Clément Thomas répond aux délégations que tout effort est inutile. Les généraux, les amiraux qu’on sollicite font à regret la même réponse. Dorian va supplier à Belleville, dont on redoute le soulèvement, Millière et Flourens de ne pas déchaîner le peuple. Peu à peu, le ressort se détendait dans les âmes les plus