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matin, il était cinq heures du soir quand, à quelques kilomètres de la ville, il rencontra Billot. — Pensez-vous pouvoir attaquer ce soir ? lui dit-il ; et, sur la réponse négative, il déplora la jeunesse, la mauvaise qualité des troupes, offrit à nouveau de se démettre. Puis, à pied dans la neige, il avait regagné Besançon. Il faisait nuit. Après avoir reçu l’intendant général et s’être informé des ressources de Pontarlier, après avoir donné à son fidèle Leperche ses instructions pour la retraite, il passait par la chambre de celui-ci, y prenait un revolver, — on avait caché le sien, — et rentrait chez lui, défaillant sous le poids de sa faiblesse et des fatalités qui l’écrasaient. Alors, ne voyant qu’une impasse quoi qu’il fit, la mort, qu’il ne redoutait pas, lui apparut un refuge. Et, le cœur saignant de mourir ainsi, soulagé pourtant d’en finir, il s’étendit sur son lit, appuya le canon à sa tempe, et fit feu.

Louis, logé avec Guyonet chez de braves gens, qui, inquiets de le voir si souffrant, l’avaient forcé d’accepter le meilleur lit, celui de leur fils absent, sommeillait sous les édredons, dans la chambre encore tiède d’un rougeoiment de braises. Il se réveillait la poitrine raclée de toux, quand, dans le petit jour, Guyonet entra, blême, fripé de sa nuit blanche. Il était suivi du propriétaire, qui s’exclamait, abasourdi. — Qu’y a-t-il ? demanda Louis, entre deux quintes. Guyonet, encore trépidant, jetait : — Bourbaki s’est tiré un coup de pistolet dans la tête. Il n’est que blessé. La balle a dévié, s’est aplatie, comme sur une plaque de fonte. Ce n’est pas tout. Nous transmettions la nouvelle ; deux télégrammes de Gambetta la croisent ; ordre à Bourbaki de remettre, à Clinchant de prendre le commandement. C’était fait ! Mais ils vont être déçus à Bordeaux. Clinchant maintient les ordres de retraite… Tout en parlant, Guyonet rassemblait en hâte ses effets, grondait Louis, qui, devant les préparatifs de départ, voulut se lever. Mais ses forces le trahirent. Il dut se renfouir au chaud, claquant des dents. En vain le propriétaire, un vieux receveur des postes, le consolait, lui affirmait qu’il serait soigné là comme chez lui ; c’était aller à une mort inutile que de vouloir suivre ses camarades ! Louis, avec un regret désolé, embrassait Guyonet, le chargeait de prévenir les chefs et de serrer la main de Sangbœuf. La porte refermée, pendant que son hôte bordait paternellement les couvertures, il écoutait dans les rues ouatées de neige le roulement confus des voitures du grand quartier général, ce bruit de retraite que, depuis Orléans, il connaissait trop ; et,