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LES TRONÇONS DU GLAIVE.

familles régnantes, ni les ministres, sénateurs, conseillers d’Etat, candidats officiels de l’Empire ; il était juste, il était nécessaire, affirmait-il, qu’ils supportassent la responsabilité de malheurs attirés par eux-mêmes…

La seule éventualité qu’il n’eût pas prévue lui brisait aux mains son arme : Paris entraînait la France. Et ce n’était pas assez, une ineptie criminelle, de gaieté de cœur, abolissait une armée tout entière, cent mille hommes, sur lesquels la nation était en droit de compter, et dont la présence dans les négociations ultérieures eût été d’un grand secours ! Grâce à une démarcation arbitraire, on devait remettre à l’ennemi plus de terrain qu’il n’en avait conquis ; il s’accroissait d’Abbeville, de deux arrondissemens du Calvados, de la moitié de l’Yonne, du Loiret, du Loir-et-Cher, de l’Indre-et-Loire, d’une partie du Morvan, du Jura, de la Côte-d’Or. Le 25e corps, formé d’hier et déjà maître des faubourgs de Blois, rétrogradait au delà de Vierzon ! Et c’était le vainqueur qui, par raccroc, vous apprenait cela ! Et Paris se taisait toujours ! Alors le patriote éclata. Son indignation furieuse, son indomptable foi le soulevèrent. De la profondeur de son désespoir jaillirent des sources d’espérance. Les mots ardens s’échappaient de son cœur ; il incarna la terre déchirée, en fut la voix, l’âme. Dans sa proclamation il attestait le pays, lui désignait le chemin, et, sous des traits pareils à des zigzags d’éclairs, s’ouvraient de brefs, de fulgurans horizons d’histoire : la Prusse comptait sur l’armistice pour énerver, dissoudre ; elle espérait une Assemblée tremblante, prompte à subir une paix honteuse. Il dépendait de tous que l’armistice devînt, au contraire, une école d’instruction ; qu’on préparât, qu’on poussât, avec plus d’énergie que jamais, l’organisation de la défense. Qu’à la place d’une Chambre réactionnaire et lâche sortît du sol une Assemblée vraiment nationale, républicaine, voulant la paix si elle assurait l’honneur, l’intégrité, le rang du pays ; mais capable de vouloir aussi la guerre et prête à tout plutôt que d’aider à l’assassinat de la France… Il finissait par un cri d’appel aux armes, dans un grand élan de concorde et de sacrifice !

En même temps paraissaient deux décrets, l’un, en conformité avec les prétentions de Paris, fixant les élections au 8 février et la réunion de l’assemblée au 12 ; l’autre, rompant avec le gouvernement de la capitale et, selon l’idée longuement mûrie de Gambetta, frappant d’inéligibilité les complices et les complaisans du régime déchu. Des dépêches aux préfets allaient aussi, dans tous