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réglé, quand l’air plus pur et la distance plus courte le lui permettraient, mais n’en continuant pas moins à bombarder la nuit, à toute volée, la grande ville allait et venait, indifférente. Ce n’était pas leur bombardement qui avancerait d’une minute le moment psychologique !

Mais, hélas ! on le voyait venir quand même. Les ressources baissaient ; seule la famine prendrait Paris. C’était pour tous une angoisse que cette rareté croissante de ce qui permettait de vivre. La mortalité devenait effrayante ; les voitures d’enterrement, traînées par un seul cheval, se succédaient sans trêve. Plus de charbon, ni de bois pour résister à l’hiver, rien qu’une viande innomable, un pain répugnant, pour se soutenir. Le soir, avec ses quartiers enténébrés et déserts, l’énorme capitale semblait morte. C’est alors, dans ce froid et ce noir, que revenait plus vive la fureur du jour perdu, du temps qui avait coulé, inutile. Avec lui diminuait la réserve des forces, s’affaiblissaient les moyens de lutte. L’invisible cercle se rétrécissait, oppressant les poitrines. Bientôt, on ne pourrait plus respirer ; on tomberait vaincu, près de ses armes intactes. Et, dans un soulèvement de rage, on rejetait tout sur le conseil du Louvre, sur ces hommes du Quatre-Septembre à qui on avait fait un tel crédit, et qui l’avaient gaspillé en attentes stériles, en discussions vaines, sur ce Trochu, si populaire d’abord, maintenant haï. Lui qui avait dit : « Le Gouverneur de Paris ne capitulera pas ! » que comptait-il faire ? Le salut ne lui tomberait pas du ciel. Avant que les soldats eussent perdu tout ressort, dans ces tranchées où le froid les tuait comme des mouches, et pendant que la garde nationale se consumait à ne rien faire, stupidement mise à l’écart, est-ce qu’on n’allait pas secouer cette léthargie, se battre enfin ? À quoi servaient tant d’hommes, de généraux, de canons ? De toutes parts, des voix s’élevaient, désespérées : sortir en masse, essayer de secouer les barreaux de la cage ! Paris, enragé, voulait voir la couleur de son sang.

Par malheur, l’ultime bataille où tête basse le peuple voulait foncer, la suprême partie qu’allait jouer Paris, avec la reddition pour enjeu, les généraux la livraient à contre-cœur, marchant d’avance à la défaite. Ne croyant pas au succès, ils ne faisaient rien pour le rendre possible. Irrités par les reproches de la rue, sans sympathie pour la plupart envers un régime contraire à leurs goûts, à leurs traditions, tous déprimés par l’incroyable