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plus préparés à en supporter l’éclat. » Heureux Novalis et Mozart, qui tous deux, dès ce monde, « ont rêvé du ciel ! »

Mais, tout en rêvant du ciel, et tout en associant à ses rêves son ami, — qui aussitôt s’empressait de les réaliser en bonne prose, pour en faire le programme d’une école nouvelle, — le jeune étudiant continuait à jouer, à courir les filles, et à s’endetter. « Le pauvre Hardenberg m’effraie fort , écrivait Frédéric Schlegel, il se conduit comme un enfant, et vient de faire une tache à son honneur. » Quelle « tache ? » On l’ignore, mais on suppose qu’il se sera agi de quelque adultère : et, dans ce cas, le reproche est particulièrement piquant de la part de Frédéric Schlegel qui devait, bientôt après, enlever la femme de son ami Veit, fille du fameux Moïse Mendelssohn. On sait du moins que, bientôt, la situation de Novalis à Leipzig devint si intolérable que le jeune homme, prenant un grand parti, résolut de renoncer à ses études pour entrer dans l’armée. Il se rendit à Eisleben, se présenta chez le colonel d’un corps de cuirassiers, et apprit, à sa grande désolation, que, faute de fortune, il ne pourrait s’engager que dans l’infanterie. Ainsi s’effondra son rêve de gloire militaire.

Il voulut alors essayer d’une troisième université, la plus studieuse de toutes et la plus paisible. Et, cette fois, l’essai fut heureux. Un an de séjour à Wittenberg lui suffit pour achever ses études de droit, si bien que, dès le mois d’octobre 1794, il fut en état de commencer son stage dans l’administration : car ses parens entendaient faire de lui un fonctionnaire, et lui-même s’y résignait sans trop de regrets. Il commença donc son stage à Tennstedt, en Thuringe, auprès d’un président de district à qui son père l’avait recommandé. Et c’est là, en novembre 1794, que lui arriva l’unique aventure de sa vie qui mérite d’être rapportée.

II


Le hasard d’une tournée administrative le conduisit, un jour, dans un château des environs de Tennstedt où demeurait un certain baron de Kühn, homme de mœurs équivoques, et fort mal élevé. Ce baron avait une fille toute jeune encore, nommée Sophie, que l’on présenta à Novalis avec les autres enfans : et Novalis, dès qu’il la vit, se prit pour elle d’un amour passionné. Tous les soirs, depuis lors, il revint au château de Grü-