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LE POÈTE NOVALIS.

ment d’un effort pour persévérer dans la foi. Ni la pratique assidue des sciences naturelles, ni l’habitude passionnée de l’analyse et de la réflexion intérieures, ni les tristesses et les souffrances d’une vie de malade, rien n’a ébranlé un moment la confiance ingénue du jeune poète dans la vérité des dogmes chrétiens. Et la philosophie même, loin de le détourner de Dieu, n’a fait que l’attacher davantage à lui. Lorsque, en 1797, pendant son séjour à léna auprès de Sophie, il a appris à connaître la doctrine de Fichte, cette doctrine l’a tout de suite ému jusqu’au plus intime de son être : et personne n’en a plus hardiment admis le principe et les conséquences, personne n’a plus résolument conçu l’univers comme le rêve et le reflet du moi créateur. « L’idéalisme, disait-il, est le seul empirisme sérieux et complet ; » et la moitié de ses Fragmens s’emploie à le prouver. Mais aussitôt il a conclu, de la doctrine de Fichte, la nécessité pour le moi d’avoir un guide et un juge au-dessus de lui ; et la conception du monde comme une apparence a stimulé chez lui le besoin de se chercher l’abri d’une réalité plus réelle. L’idéalisme philosophique l’a confirmé à jamais dans sa foi chrétienne. Et, tandis que Fichte le proclamait le plus pénétrant de ses disciples, tandis que Schelling, infatigable à l’interroger, lui empruntait les élémens dont il allait composer sa « philosophie de la nature, » Novalis, pour se délasser de la spéculation, écrivait des hymnes à Jésus et à la Vierge Marie.

Hymnes qui, plus encore qu’Henri d’Ofterdingen, sont et resteront le vivant témoignage de son génie de poète. On les chante, depuis cent ans, dans les églises allemandes ; mais c’est assez de les lire, sans l’accompagnement d’aucune autre musique, pour entendre un chant d’une exquise douceur. Et la foi qui s’y exprime a beau être naïve, on sent que c’est du cœur tout entier du poète qu’elle jaillit. Chaque vers porte la trace d’une émotion personnelle. Novalis s’y confesse de ses regrets et de ses espérances ; il y traduit en un langage d’une beauté immortelle les divers sentimens que nous l’avons vu noter, au fur et à mesure, sur les feuillets de son journal intime. De là vient, sans doute, le caractère profondément « lyrique » de ces chants religieux.

Il est mort, et pourtant, tous les jours, — tu reçois son amour et tu le reçois lui-même. — Tous les jours, pour qu’il te console, — tu peux doucement l’attirer dans tes bras.

Ce que tu as perdu, il te l’a retrouvé. — Ce que tu aimes, il te le garde. — Et à jamais reste lié avec toi — ce que sa main t’a une fois rendu !