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LE POÈTE NOVALIS.

bruyamment au catholicisme, — avait jugé l’article trop « catholique », et Gœthe, qu’elle avait consulté, l’avait jugé de même. Mais cet article, le seul qu’ait écrit Novalis, a été retrouvé parmi les papiers du poète. Il devait s’appeler, au choix des Schlegel, Le Christianisme ou Europe.

L’article débute par un tableau de l’âge d’or du christianisme. « C’étaient de beaux, d’heureux temps, ceux où l’Europe était une terre chrétienne, où une seule et même chrétienté l’habitait tout entière, où un grand intérêt commun unissait toutes les provinces de cet immense royaume intellectuel. » Suit la description de la vie des premiers peuples chrétiens, de la prédication, des légendes, des fêtes sacrées. Mais « l’histoire est faite d’évolutions montantes et descendantes ; » et cette admirable unité religieuse et morale s’est, à son tour, dissoute. Le désordre, la corruption, l’égoïsme ont pénétré dans l’Église. La religion a perdu son influence politique et morale : elle a cessé d’être un lien entre les peuples, et, pour l’individu, un principe d’action. Aussi la Réforme est-elle venue à son heure. « Les révoltés avaient raison de s’appeler protestans, car ils protestaient solennellement contre la prétention d’imposer une contrainte à la conscience humaine. » Ils protestaient, au nom des droits du saint esprit, contre la formation d’un dogmatisme étroit et sans âme. Mais, comme toute révolution, le protestantisme n’aurait dû être qu’un régime passager : et le tort de ce régime révolutionnaire a été, depuis lors, de se déclarer en permanence.

Et ce n’est pas tout. Luther a traité le christianisme de la façon la plus arbitraire, a méconnu son esprit, a promulgué une religion nouvelle, fondée sur l’universalité sacrée de la Bible ; et ainsi, malheureusement, s’est mêlée à la religion une science terrestre et prosaïque entre toutes, la philologie, dont l’influence, depuis lors, a toujours grandi. Luther lui-même, d’ailleurs, a été promu par bon nombre de protestans à la dignité d’évangéliste, et sa traduction est devenue un ouvrage canonique.

Or, rien n’est plus contraire à l’esprit religieux que la lettre, rien ne paralyse davantage le sentiment religieux. Autrefois, son influence mauvaise se trouvait neutralisée par la grande richesse et variété du dogme catholique, par l’ésotérisme de la Bible, par l’autorité des Conciles et du Pape : mais désormais ces contre-moyens étaient détruits, la Bible était mise entre les mains de tous ; et, de jour en jour, la lettre de la religion, l’ébauche abstraite et sèche qu’en renferme la Bible, ont contribué davantage à empêcher l’esprit saint de vivre, d’agir, et de se révéler librement.

Si bien que le temps est venu d’une « complète atonie des

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