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LE POÈTE NOVALIS.

l’Europe aussi longtemps que les nations ne se guériront pas de leur folie d’égoïsme ; il continuera à couler jusqu’au jour où les peuples, apaisés et touchés par la musique sainte, reviendront la main dans la main à leurs autels anciens. » Le moment approche, pour l’Europe, de « se réconcilier et de ressusciter, unie de nouveau dans la foi en Jésus. »

V


Au moment où il écrivait cet article sur la situation religieuse de l’Europe, Novalis était, depuis quatre ans déjà, attaché à l’administration des salines dans la petite ville saxonne de Weissenfels. Il continuait à vivre « toujours en état de poésie ; » mais il ne faisait nullement métier de poésie. De toute son âme, au contraire, il s’était adonné aux devoirs de sa profession, et dans les derniers mois de 1797, après un an de lectures et de recherches scientifiques, il avait obtenu la permission d’aller achever ses études d’ingénieur à Freiberg, siège d’une très importante industrie minière. Il avait connu là un vieux savant, Werner, minéralogiste remarquable, qui non seulement l’avait tout de suite associé à ses propres travaux, mais avait encore éveillé et développé en lui l’amour passionné des sciences naturelles. Et Novalis, de retour à Weissenfels, n’avait pas tardé à devenir, lui aussi, un savant. De tous les coins de l’Allemagne, les plus fameux spécialistes lui soumettaient leurs expériences ou le consultaient sur les siennes ; et l’un d’eux, Ritter, fit paraître plus tard un ouvrage, sur des problèmes de physique, que l’on sait aujourd’hui être formé en majeure partie de notes trouvées par lui dans les papiers de Novalis.

La vie du jeune homme s’écoulait ainsi dans le travail, sans qu’aucun événement extérieur vînt en rompre la tranquillité uniforme et douce. À peine, quelquefois, un voyage à léna, où demeuraient les frères Schlegel, ou bien une visite au musée de Dresde. Mais d’autant plus active était la vie intérieure. Mathématiques, physique, chimie, minéralogie, botanique, médecine, sciences sociales, la curiosité de Novalis s’étendait à tout, et tout, naturellement, lui apparaissait sous la catégorie de la beauté poétique. Non que ses recherches aboutissent, en fin de compte, à de vaines rêveries. On trouve au contraire, dans ses Fragmens, une foule d’indications très positives et d’une portée pratique im-