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LES TRONÇONS DU GLAIVE.

tude, écœuré « de la drogue, » se morfondait, des flaques de la route à la boue d’un champ. Il enviait les camarades qui s’en allaient bravement ; on ne dirait pas cette fois que la garde nationale n’était bonne à rien ! Ah ! pourquoi n’avoir pas employé plus tôt tous ces hommes de bonne volonté, dont l’attitude résolue, l’air intelligent disaient les qualités natives ? Et lui, il n’avait pas bientôt fini de moisir là ? Nulle fanfaronnade, aucune griserie d’héroïsme, car, raffiné, réfléchi, il aimait la vie, son art. Mais le dégoût d’avoir été si longtemps tenu pour rien, l’envie de remuer un peu, de voir comment le Prussien était fait ! Pourquoi ne les utilisait-on pas, eux et ces centaines d’autres qui stationnaient près des innombrables files de voitures d’ambulance, de camions de chemin de fer, chargés de munitions et de vivres ? Le fracas continue, le temps s’écoule. Voilà d’autres gardes nationaux qui reviennent du feu, débandés, gesticulans. Martial distingue des groupes affolés prenant d’assaut des omnibus, et fouette cocher ! Jusqu’à des officiers qui se disent blessés et qui n’ont rien. Des lignards les huent : « En avant la trouée ! En avant. Messieurs de la guerre à outrance ! » Si on les avait disciplinés, instruits, peut-être tiendraient-ils mieux ! Qu’est-ce qu’a donc le Mont-Valérien aujourd’hui ? Pourquoi ne tonne-t-il pas ? Le seul jour où ses gros obus seraient vraiment utiles, silence complet. Thérould ricane : « Peut-être que Trochu dort ! On a peur de le réveiller. »

Deux heures et demie. C’est le moment où Ducrot, apparu vers onze heures, renonçait à poursuivre l’offensive. Tous ses efforts s’étaient brisés contre le mur de Longboyau, qui borde le parc de Buzenval. Dans celui de la Malmaison on n’avançait pas. Le général, depuis l’échec de la Marne, se désintéressait d’une partie, à son sens perdue. Il n’apportait plus cette fougue qui, sur les côteaux de Champigny, lui avaient fait inutilement chercher la victoire ou la mort. Il jugeait impossible la sortie par Garches ; à supposer qu’on enlevât la première ligne des défenses allemandes, on ne pourrait franchir la passe, on s’entasserait dans un goulot de bouteille. Même le bruit courait qu’à demi brouillé avec Trochu, il avait offert de résigner son commandement, de servir comme simple capitaine aux éclaireurs de Néverlée. Pourtant, après son arrivée tardive, il s’était battu de son mieux, suivant la vieille tactique d’alors : le va-devant-soi. Dix régimens s’entassaient dans le parc de Buzenval ; imprenable, le mur de