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boutiques, encore fermées de la petite ville, le début de cette troisième semaine. C’est, comme toujours, par une rayonnante et fumeuse aurore. Derrière les fenêtres closes des vieilles demeures espagnoles, les Hondeños dorment à ce murmure du fleuve qui vient vous visiter dans la nuit et vous bercer comme celui de la mer.

Presque aussitôt, du reste, nous l’avons retrouvé, le Magdaléna, resserré toujours et bondissant sur de nouveaux rapides, en myriades de cascatelles, bref, recommençant son défilé, ses portes de fer de Yeguas. Ici par exemple, la montagne est meuble, glissante, et l’étroit chemin ménagé entre elle et l’impétuosité du torrent s’effondre chaque jour un peu plus sous l’érosion infatigable.

Ce long salto de Honda, ce rapide intermittent d’un kilomètre et demi, marque le seuil de partage entre les deux biefs supérieur et inférieur du fleuve et il trace aussi une sorte de marche entre deux pays tout différens. Au-delà, commence une seconde Colombie, d’entassemens cyclopéens et de solitudes rases, d’horizons plus grandioses et plus morts ; c’est le recueillement de la steppe et de l’alpe succédant aux enfantemens monstrueux de la forêt vierge. Et nous en aurons la plus haute, la plus définitive vision tout à l’heure, une fois franchi le fleuve lui-même, de l’autre côté duquel aboutit la route véritable de Bogota.

Le bac traditionnel ; une coulée grinçante le long d’un câble. Puis, à peine touché terre, en selle de nouveau ; et, abandonnant à leurs risques et à leurs empêtremens nos péons et notre convoi, nous prenons en hâte les devans pour arriver à l’auberge du Vergel avant la tombée de la nuit.

De route par exemple, de route proprement dite, point. Un simple chemin de montagne rocailleux, miné par les pluies, encombré d’éboulis, et, en somme, plein d’imprévu. Tandis que la route carrossable se développe à loisir, paraît-il, pour venir atteindre le fleuve dix lieues plus au nord, ce sentier-ci, tracé pour abréger la distance, coupe au plus court, monte, descend, escalade des gorges, tantôt lacet blanc et poudreux à flanc de coteau, tantôt vague pétrissement de fange ; tantôt ombreux de voûtes de verdures en berceaux continus, et tantôt sonore au fond d’un ravin tragique, précautionneux entre des roches pansues. Traversons-nous quelque bois ? les sauterelles nous envoient leur bain d’ondes métalliques ; ou bien de bizarres traînées vertes se multiplient sur le sol, rubans d’espoir qui