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Pasteur étranger à l’ironie ; elle répugnait à la franchise et à la robustesse de sa nature ; il la tenait pour un agent de décomposition. Rien ne lui paraissait sans importance. Aucun soin, aucun détail, si mince fût-il, ne le laissait indifférent. Nous ne manquons ni de jeunes savans, ni de jeunes littérateurs ; à qui il semble que les besognes du professorat sont indignes de leur mérite et qu’en s’y abaissant, ils se font à eux-mêmes une espèce d’injure. Rappelons-leur que, lorsqu’il acceptait les fonctions de professeur de physique en province et se croyait honoré de les remplir, Pasteur était déjà l’auteur de ces fameuses découvertes sur la cristallisation qui arrachaient au physicien Biot des pleurs d’émotion. Nous ne manquons ni d’écrivains notoires ni de spécialistes éminens qui, placés à la tête d’une importante administration, considèrent qu’on a voulu leur ménager des loisirs honnêtement rentés et qu’en remplissant les devoirs de leur charge, ils manqueraient à un devoir supérieur. C’est pour leur édification qu’il faut noter sur le cahier de Pasteur, nommé administrateur de l’École normale, des notes du genre de celle-ci : « Voir à l’École polytechnique quel est le poids de grammes de viande donné pour chaque élève… Cour qu’il faut sabler… Salle qu’il s’agit d’aérer… Porte de réfectoire à refaire… » Et enfin si, pour notre part, nous sommes d’avis que jamais ni l’État, ni les particuliers ne se montrent trop généreux quand il s’agit de doter les laboratoires, rappelons pourtant à ceux qui se plaignent de ne pouvoir travailler faute d’instrumens de travail, qu’un Pasteur comme aussi bien un Claude Bernard, a accompli ses plus merveilleux travaux dans des installations dérisoires, au milieu du plus parfait dénûment.

Quelles luttes Pasteur eut à soutenir pour mener à bien ses découvertes et pour les imposer, nous l’avons déjà presque oublié, depuis que les doctrines du maître sont universellement admises, entrées dans le domaine commun et consacrées même par le langage courant. Il était donc opportun de nous les rappeler, ne fût-ce que pour nous montrer que l’œuvre du savant, comme toute œuvre humaine, ne s’accomplit qu’au prix de beaucoup de force morale. Ces luttes, Pasteur les a soutenues d’abord contre lui-même. Car un savant est avant tout un poète. Des lueurs soudaines illuminent devant lui la route et lui font entrevoir le résultat dans un éclair de divination. De son imagination surgissent en foule les idées et naissent de séduisantes hypothèses. Ces hypothèses, qui sont un précieux stimulant de recherche, n’ont aucune valeur par elles-mêmes et tant qu’elles n’ont pas été vérifiées par l’application de sévères méthodes expérimentales. Mais