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époque et dans d’autres circonstances. Aujourd’hui, M. Waldeck-Rousseau ne pourrait pas, quand même il le voudrait, se séparer de M. le ministre du Commerce et lorsqu’il dit qu’ils sont solidaires l’un de l’autre, il énonce une vérité incontestable : seulement cette vérité nous effraie. M. Waldeck-Rousseau sait fort bien que le ministère tombera tout entier le jour où les collectivistes seront mécontens. Aussi fait-il tous ses efforts pour renvoyer à plus tard, au plus tard possible, la discussion des lois sociales sur lesquelles la division est inévitable entre ses amis. N’a-t-on pas d’autres lois à discuter de préférence, de ces lois sur lesquelles on a fait si souvent déjà la concentration républicaine qui reste le pivot de la politique actuelle ? M. Waldeck-Rousseau a dénoncé à Toulouse le péril que le développement croissant des congrégations religieuses, de leur fortune et de leur influence, fait courir à l’esprit moderne. Il a jeté à la Chambre le même cri d’alarme ; il a sonné le même appel dont il connaît la puissance de ralliement. Il a été entendu, applaudi, soutenu. Il a retrouvé sa majorité fidèle ; mais à travers quelles épreuves et à quel prix !

La discussion a duré deux séances, et s’est terminée parla plus étrange bataille d’ordres du jour qu’on ait jamais vue. Ceux qui n’ont pas lu, au Journal officiel, le récit de la journée du 8 novembre ne savent pas encore jusqu’à quel point le gâchis parlementaire peut être poussé. C’est un spectacle bien triste, mais trop instructif pour que nous n’en reproduisions pas les traits principaux. Pour en bien comprendre la complication, il faut rappeler l’affaire Sipido. Sipido est ce jeune Belge qui a commis à Bruxelles une tentative d’assassinat sur le prince de Galles, et qui, après avoir été acquitté, à cause de son âge, par la justice de son pays, mais pourtant condamné à attendre sa majorité dans une maison de correction, était venu chercher un refuge en France. Avons-nous besoin de dire que Sipido ne nous intéresse en aucune manière, et qu’il n’intéressait pas la Chambre davantage ? L’incident n’a occupé que quelques minutes de son temps ; mais il devait avoir des suites un moment plus tard. On en est venu à la lecture des nombreux ordres du jour qui avaient été déposés. M. Henri Brisson l’a fait suivre d’une déclaration. Quelque hésitation se manifestait sur les bancs de l’extrême gauche, — oh ! bien faible, et dont le ministère n’avait pas à s’inquiéter beaucoup. N’importe : M. Brisson a cru devoir montrer à ses amis le spectre congréganiste d’un côté, et M. le ministre de la Guerre de l’autre. Il les a imités à marcher contre l’un et à voler au secours de l’autre. Aux yeux de certains radicaux, M. le général André est devenu la sauvegarde du ministère.