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mise en goût par ce premier essai d’émancipation, s’est trouvée en présence d’une nouvelle annexe à son ordre du jour, qui condamnait M. Monis pour avoir extradé Sipido. Elle n’a pas plus hésité à voter cette troisième proposition que les deux premières, et la majorité anti ministérielle s’est même élevée à 105 voix. Le ministère semblait perdu. Loué en bloc, blâmé en détail, il n’avait plus qu’à se retirer. Ses adversaires ont pu croire, à leur tour, la journée finie, et bien finie. Toutefois les vieux routiers parlementaires ne s’y sont pas trompés : ils ont parfaitement senti que tout allait recommencer. Quand un ordre du jour a été remanié en cours de vote, et qu’on l’a enrichi de plusieurs appendices, le règlement veut qu’on procède à un vote sur l’ensemble. Il était vraiment difficile de voter cet ensemble : jamais gestation parlementaire, laborieuse et agitée, n’avait encore produit un monstre aussi difforme. La Chambre l’a répudié à la quasi-unanimité de ses membres, déclarant par-là que tout ce qu’elle avait dit et fait jusqu’à ce moment ne comptait pas. Il était déjà une heure avancée de la nuit. Tout le monde était fatigué. Les collectivistes étaient dans une surexcitation extrême ; ils proposaient de renvoyer la suite au lendemain, désireux, disaient-ils, d’ouvrir un grand tournoi oratoire sur leurs doctrines. Cette perspective a effrayé. On a voulu en finir au plus vite et à tout prix. Les amis du gouvernement ont proposé l’ordre du jour pur et simple. C’était faire preuve de modestie, mais aussi de discernement. L’ordre du jour pur et simple ne voulant rien dire du tout, ils voyaient en lui la conclusion la plus naturelle du débat.

C’était certainement la ligne de retraite indiquée ; mais M. Camille Krantz l’a hardiment coupée aux ministériels. Il a déclaré que ses amis et lui voteraient l’ordre du jour pur et simple, s’il était proposé, en y attachant une intention de réprobation contre le Cabinet. À ce moment, l’anarchie mentale de la Chambre a atteint son comble. Personne ne savait plus où il en était. Il fallait donc dire quelque chose, puisque M. Krantz l’exigeait. On s’est vu avec terreur au moment de recommencer la comédie qui venait de se terminer. Et cela n’aurait pas manqué d’arriver, si la Chambre, par une innovation qui montre à quel point elle se connaît, n’avait pas pris contre elle-même la précaution d’affirmer en toutes lettres, dans l’ordre du jour qu’elle allait voter, qu’elle n’y ajouterait rien. Non, rien ! Elle savait, à ne plus pouvoir s’y tromper, qu’il lui serait impossible d’émettre deux idées qui ne seraient pas contradictoires. Elle a donc voté le texte suivant : « La Chambre, comptant sur le gouvernement pour une politique d’action républicaine, et repoussant toute