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LE FANTÔME.

tion, et on s’y entendait, au quai d’Orsay, en administration ! Vous surtout, d’Andiguier… En avez-vous abattu de la besogne, dans cette maison-là !…

Que le souvenir de cette première soirée était précis et net dans la mémoire de Philippe ! Comme il en retrouvait à volonté le moindre détail, avec une fraîcheur d’impression demeurée intacte, chaque fois qu’il se reportait, qu’il se réfugiait en pensée vers ce début de sa dévotion pour son Antoinette. « Son Antoinette ! » Il l’appelait ainsi dans son cœur, bien qu’elle n’eût jamais été sienne et que dès lors elle fût déjà promise à un autre… Et tout de suite les images affluaient, se mêlaient, se confondaient, comme les émotions avaient afflué en effet, comme elles s’étaient mêlées et confondues en lui durant les journées qui avaient suivi ce premier soir. Devant l’intensité de ce trouble intime, il avait bien dû s’avouer, avec ivresse et avec épouvante, qu’il aimait Mlle  de Montéran, — sans espoir de s’en faire aimer, puisqu’il avait vingt ans de plus qu’elle et que d’ailleurs elle n’était pas libre, — sans espoir même d’empêcher ce mariage dont il avait deviné aussitôt qu’elle l’acceptait comme un sacrifice. Les preuves qu’il ne s’était pas trompé dans cette intuition ne se multiplièrent que trop dans la semaine qu’il passa auprès d’elle, contre toute raison. Car, de même qu’il lui avait été impossible, dès la première soirée et après avoir surpris les larmes de la jeune fille, de ne pas descendre à la salle à manger pour la voir, il lui fut impossible de ne pas rester à la Villa d’Este, jusqu’à ce qu’elle en partît elle-même, alors qu’il aurait dû fuir à tout prix. Au lieu de cela, il se revoyait, le lendemain de ce premier soir, et les jours d’après, descendant sur la terrasse et dans le jardin, aussitôt levé, avec l’idée de l’y rencontrer, elle, ou quelqu’un des siens. Il se revoyait, s’y attardant après le déjeuner, avant le dîner, le soir encore, le tout pour subir le plus souvent les confidences de Montéran ou le bavardage de Mme  de Montéran ! Et chacune de ces conversations redoublait chez Philippe l’évidence que la délicieuse fille s’immolait à l’égoïsme de ses parens. Le père n’avait pas causé dix minutes qu’une allusion à des affaires de Bourse révélait le spéculateur, obsédé par la hantise du jeu. Quant à la mère, la minutie de son élégance, le soin qu’elle prenait de parer les restes fanés de sa beauté, son constant rappel des insignifiantes ou scandaleuses anecdotes de la chronique parisienne,