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LE FANTÔME.

venirs qu’elle avait voulu léguer, et surtout au règlement des futurs intérêts d’Éveline, cette reconnaissance de son dévouement était bien naturelle. Son désespoir y trouvait une espèce de consolation. Pourquoi fallait-il que, même en lui donnant ce témoignage suprême de confiance, Antoinette fût demeurée la mystérieuse amie qu’elle avait toujours été, la taciturne qui ne se livre pas tout entière, qui dérobe aux plus intimes un coin réservé d’elle, et qu’elle le suivît, même du fond de la tombe, de ce regard impénétrable, derrière lequel il n’avait jamais tout lu ? Dans une lettre, à lui adressée, qui se trouvait jointe au testament, et après l’avoir remercié en termes délicatement émus de l’amitié qu’il lui avait montrée depuis leur rencontre à la Villa d’Este, elle le priait de lui donner un dernier témoignage de cette amitié. Elle le chargeait de brûler des papiers personnels qu’il trouverait dans un coffret, fermé par une serrure de sûreté, dont elle lui indiquait le secret. Elle insistait pour qu’il se conformât exactement aux instructions écrites sur l’enveloppe où elle les avait mis, et qu’il lui pardonnât de ne pas lui en dire davantage. Philippe avait naturellement obéi à cet ordre avec la plus scrupuleuse fidélité. Il avait cherché le coffret, auquel la morte avait dû tenir beaucoup, car il se trouvait placé dans le coffre-fort où elle enfermait ses bijoux. Il l’avait ouvert, d’après ses indications, non sans difficulté, ce qui achevait de prouver l’importance des papiers ainsi défendus. Il y avait trouvé une enveloppe de cuir blanc, munie de rubans, et sur laquelle Mme Duvernay avait écrit : « Pour mon cher ami, M. d’Andiguier, qui détruira l’enveloppe telle quelle est… » Philippe avait bien compris que ces mots soulignés étaient une manière de lui demander de ne pas prendre connaissance des papiers contenus dans cette enveloppe, sans le lui demander. Il avait compris aussi que cette enveloppe n’était pas fermée davantage, parce qu’Antoinette avait voulu se garder la liberté de reprendre ces papiers à son gré, d’y retrancher, d’y ajouter, — de les relire à son loisir tout simplement. Il se souvenait. Il était rentré chez lui avec cette enveloppe. Il avait fait allumer un énorme feu dans la plus haute de ses cheminées, quoique ce fût au printemps, et là il était demeuré longtemps, avant d’obéir à l’ordre sacré de la morte, à toucher de ses doigts ce cuir souple, à sentir au travers les feuilles confiées à sa loyauté. Quel motif son amie avait-elle eu pour tenir ainsi à ce que ces feuilles