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fait jaillir la beauté, l’accent qui fond le cœur, ou qui le fend.

Si mélodique et parfois symphonique déjà que soit l’opéra de Gluck, il semble pourtant que d’Orphée à Iphigénie en Tauride, il s’est en quelque sorte développé dans le sens du récitatif. Le style de la seconde Iphigénie est plus fréquemment et plus fortement récitatif que celui d’Orphée. Les airs eux-mêmes ont quelque chose non pas de moins mélodique, mais de mélodique avec moins de périodicité, de carrure et de symétrie. Le songe du premier acte ; au second acte, le sublime dialogue du frère et de la sœur, sont parmi les chefs-d’œuvre de ce « parler en musique, favellar in musica, » dont la vieille définition florentine se réalise ici dans sa plénitude et sa perfection. Rapprochez l’un de l’autre le songe d’Iphigénie, ce récit, et, dans le premier acte de Tristan et Iseult, un récit encore, les longs aveux d’Iseult à Brangaene. Vous comprendrez comment, aux deux pôles de l’art, deux narrations peuvent être deux chefs-d’œuvre égaux et divers : l’un dans le « genre » du drame symphonique et l’autre dans celui de l’opéra récitatif. Tandis que Wagner plonge et dissout pour ainsi dire la parole dans l’orchestre, qu’il colore et pénètre d’elle tout entier, Gluck, au contraire, la concentre en quelques notes de la voix. Serviteurs du verbe tous deux, ils le servent par des moyens contraires. Gluck lui rend un hommage plus direct et peut-être plus éclatant. Il semble quelquefois n’y rien ajouter, et n’agir, ne frapper, ne triompher que par elle seule. Oreste, interrogé par Iphigénie, remarque son trouble et s’en étonne. « Quelle est donc cette femme ? » se demande-t-il tout bas, et ce peu de mots ne nous paraissent peut-être si merveilleusement notés, que parce qu’ils sont notés à peine. Quelquefois enfin, il n’est pas jusqu’aux instrumens qui ne prennent dans Gluck un accent oratoire. Avant le songe d’Iphigénie, une note répétée trois fois n’est là que pour annoncer le récit. Elle joue, à elle seule, le rôle que jouerait, avant un air, une ritournelle. Elle sert d’avertissement, presque d’exorde. Ainsi l’orchestre même, récitatif ou verbal à sa manière, ne se contente pas d’annoncer une magnifique page de déclamation : il y participe déjà.

L’opéra de Gluck marque l’apogée du récitatif, de ce style ou de cette forme admirable deux fois : par l’indépendance et par la sobriété. Pour atteindre à la beauté, voire au sublime, le récitatif a besoin de peu de notes, il fait peu de bruit. Une intonation, une inflexion lui suffit. Précis et pur comme le génie de