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le socialisme français, divisé depuis 1882 en sectes rivales : MM. Vaillant et Guesde d’une part, M. Jaurès et ses amis de l’autre, se disputèrent la majorité. Le Congrès, après un long tumulte, aboutit à la constitution d’une sorte de gouvernement du parti, sous le nom de Comité général, chargé de contrôler la presse et les députés socialistes au Palais-Bourbon. Dans ce comité, ministériels et intransigeans se contre-balançaient au début. Mais les intransigeans, M. Guesde, M. Lafargue, M. Vaillant, ne tardèrent pas à l’emporter, si bien que MM. Jaurès et Viviani se trouvèrent bientôt en infime minorité, et pour ainsi dire mis à l’index, lors de l’interpellation à la Chambre sur les troubles de Chalon. Pour sauver le ministère, la demande d’enquête sur ce nouveau Fourmies avait été repoussée par la majorité du groupe socialiste à la Chambre ; il se trouva même quinze députés collectivistes qui se résignèrent à voter l’ordre du jour malicieux de M. Massabuau, répudiant « les doctrines collectivistes par lesquelles on abuse les travailleurs. » Le Comité général et le groupe des députés socialistes à la Chambre, des ministériels, se trouvaient donc en conflit aigu, et chacun cherchait à s’assurer la majorité au Congrès français pour écraser l’adversaire, l’évincer du parti, et le supplanter aux élections prochaines.

Afin d’obtenir cette majorité, il existe un procédé traditionnel qui consiste à opérer le miracle de la multiplication des mandats. Toutes les organisations socialistes sont familières avec une pratique très élémentaire : il s’agit, comme l’expliquait un jour M. Guesde, de se procurer un timbre humide de 1 fr. 25 et de réunir trois pelés et un tondu : avec cela on forme un groupe, et on donne mandat à un délégué de le représenter. Lors du Congrès de 1899, où la discussion des mandats fut si violente, on racontait qu’un aide de camp de M. Guesde avait parcouru la France entière, fondant dans chaque ville une infinité de groupemens. Un ami de M. Jaurès avait joué cette fois le même tour à M. Guesde, et c’étaient les jaurésistes qui arrivaient avec des centaines de mandats, dont un grand nombre étaient contestés. M. Jaurès disposait ainsi d’une forte majorité. M. Lafargue le traita d’escroc, M. Rouanet accusait M. Guesde et M. Vaillant des mêmes « escroqueries. » La minorité reconnut à grand’peine la validité de l’assemblée, et l’on ne cessait de s’invectiver de part et d’autre durant les longues séances chargées d’orage qui évoquaient les scènes de la première Révolution.