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la contradiction même de l’idéal anglo-saxon, et si l’on en veut une preuve de fait, on la trouvera dans la résistance persécutrice que les Américains, quand ils étaient vraiment encore Anglo-Saxons, ont longtemps opposée à l’émigration étrangère.

« L’agitation qu’on appelle « américaine native, » dit à ce propos M. de Nevers, concentra en elle pendant de longues années presque toute la vie politique du pays ; » et il en donne de curieux témoignages. Une lettre, publiée en 1839, dans plusieurs journaux, disait textuellement : « Nous, citoyens des États-Unis… nous sommes la noblesse, le sang royal d’Amérique… Les étrangers ne peuvent être employés qu’aux travaux manuels, et c’est le devoir et le droit du peuple américain de les maintenir dans cette carrière qui seule leur convient. » Voilà pour la pureté de la race ! Et voici pour l’idéal politique : « Dans trente-cinq ans, disait un journal en 1845, nous aurons une accumulation de 38 millions d’étrangers… Et cette puissante inondation d’outre-mer aura, alors, et probablement longtemps auparavant, emporté les derniers vestiges des libertés américaines. » Quelques années plus tard, en 1854, une puissante association se formait sous le nom de Know nothing, et se donnait pour objet « de veiller à ce que les fonctions publiques fussent attribuées à des protestans, nés dans le pays, et de combattre les artifices du papisme. » Et qui étaient-ils, ces « papistes » contre lesquels on se proposait de renouveler ainsi les procédés de l’ancienne intolérance ? C’étaient des Irlandais et quelques Allemands, mais surtout des Irlandais. L’Anglo-Saxon se sentait de nouveau menacé par le Celte. « Le native american movement, — a dit l’auteur d’un livre intéressant sur l’Irlandais d’Amérique, — ne fut que l’explosion d’un sentiment existant depuis longtemps, d’étroite jalousie nationale contre les étrangers, joint à la haine du nombre toujours croissant des membres de l’Eglise catholique. Les Irlandais possédaient, dans leur religion et dans leur origine, les deux entités auxquelles on était hostile. » En d’autres termes, et selon la formule de M. de Nevers, une civilisation de type anglo-saxon se sentait en péril d’être dépossédée, ou dénaturée, détournée de son orientation séculaire, par une civilisation d’un autre type, apparemment celtique ; et de là toutes ces craintes et toutes ces colères. L’Anglais n’était plus le maître de la situation ; et on ne peut dire ce qui serait dès lors arrivé si la guerre de Sécession n’eût inquiété la grande République sur son existence même. On sait quelle en