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nations. On le voit encore en Amérique. Il y a bien la question nègre, et elle est grosso de dangers pour l’avenir. Nous en dirons deux mots tout à l’heure. Mais le nègre, — et le jaune aussi, — mis à part, aucun de ceux qui reconnaissent avec Tocqueville, dans la démocratie, le fait le plus continu de l’histoire du monde, ne peut trouver mauvais qu’une démocratie comme celle des Etats-Unis pose en principe que le privilège de race ne remplacera pas chez elle le privilège de classe ou de caste. Et nous, nous pouvons parfaitement voir ce qu’une certaine forme de civilisation y perd : je pourrais le dire, tout comme un autre ! Je pourrais montrer ce qu’il y a de barbare, d’anti-esthétique, d’inintellectuel et de grossier dans ce nivellement universel, mais la question est de savoir si peut-être une autre forme de civilisation n’y gagne point ; ce qu’elle y gagne ; et si ce gain, à le bien considérer, n’en serait pas un pour l’humanité tout entière.

Est-ce à dire pour cela qu’en devenant Américain, l’homme d’origine anglaise, française ou allemande, abdiquera son hérédité ; devra perdre tout souvenir de ses traditions, l’usage de sa langue même ; et, le cas échéant, témoigner contre son ancienne patrie de plus d’hostilité qu’aucun native boni ? C’est ce qui ne s’est vu que trop souvent dans le passé, dans un passé tout récent ; — M. Edmond de Nevers, dans son livre, en a donné de nombreux exemples ; — et, pour le dire en passant, c’est ce qui tendrait à prouver que la race n’est pas la force mystérieuse, irréductible et indestructible que l’on dit. On en pourrait donner une autre preuve, que l’on emprunterait encore à l’auteur de l’Ame américaine, et on la tirerait du nombre et du caractère des mesures qu’il propose pour maintenir à l’état de groupement homogène et national ceux de ces groupemens ethniques qui ont conservé jusqu’ici quelque autonomie. Ils sont donc bien instables, ces caractères de race, qu’il faille tant d’affaires pour les maintenir ! Mais c’est où reparaît la première intention de son livre, laquelle, comme nous l’avons dit, n’était pas tant de reconnaître et de définir en soi l’âme américaine que d’examiner ce qu’on avait à craindre ou à espérer de l’ « âme franco-canadienne. »

Il ne nous appartient guère d’intervenir dans une question de cette nature ; et un Français de France ne saurait parler du Canada sans quelque mélancolie. Nous regretterons toujours de l’avoir jadis abandonné ; nous nous demanderons toujours si l’Angleterre, — avertie, il est vrai, par la séparation de ses