Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 162.djvu/710

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Voici maintenant le XVIIIe siècle libertin. M. Abel Hermant, qui a le don du pastiche, s’est proposé d’emprunter aux conteurs du siècle dernier ce qu’il y avait de plus désobligeant dans leur manière de libertinage laborieux et de froide grivoiserie. Il y a parfaitement réussi. Encore les pires représentans de ce genre de littérature ne réunissaient-ils pas un millier de personnes pour leur conter leurs petites drôleries pendant quatre heures d’horloge. La question est de savoir si la pièce de M. Hermant est plus déplaisante, ou si par son incroyable monotonie elle ne serait pas encore plus ennuyeuse. Sylvie est une femme qui, depuis le jour de la prise de la Bastille, change de maris chaque fois que la France change de gouvernement ; cela, sans préjudice des amans, qui ne comptent pas. Au premier acte, Sylvie tombe dans les bras d’un premier mari, qui est marquis d’ancien régime. Au second acte, Sylvie tombe dans les bras d’un second mari, qui est accusateur public. Au troisième acte, Sylvie épouse un troisième mari, qui est maréchal d’Empire. Nous songeons au retour des Bourbons, aux Cent Jours, à la Restauration. Mais la pièce de M. Hermant est terminée, ou pour mieux dire, elle a cessé de recommencer. Car telle est la coupe de cette pièce bizarre que chaque acte y recommence l’acte précédent. Au premier acte, Sylvie va se donner à Henry, un jeune gars, héros du 14 juillet, lorsqu’elle se laisse prendre, sous le nez d’Henry, par le marquis. Au second acte Sylvie est en conversation tendre avec Henry, lorsque, sous le nez d’Henry, elle se laisse prendre par l’accusateur public. Au troisième acte, nous revoyons Henry et, au moment psychologique, Sylvie se laisse enlever par le maréchal d’Empire. Le quatrième acte réunit les trois maris et le sempiternel Henry. Ce système de recommencemens constitue un genre fort usité dans les ateliers et dans les cafés-concerts. Sylvie ou la Curieuse d’amour n’est pas une pièce de théâtre, c’est une « scie » en quatre actes.

Mme Réjane met autant de fantaisie qu’il lui est possible dans le rôle fâcheux de Sylvie ; sans elle, la pièce serait probablement injouable.

Le nom de M. Jean Jullien nous reporte à l’âge héroïque du théâtre réaliste. Aussi n’est-il pas sans intérêt de voir M. Jullien nous donner aujourd’hui une pièce où tous les procédés qui y sont employés, hormis peut-être les bruits de coulisses, avaient déjà été portés à leur perfection dans le théâtre d’Augier.

La Poigne est d’ailleurs une pièce des plus estimables ; et, en dépit de beaucoup de lourdeur et de maladresse, une étude de mœurs et de caractère fort intéressante. Nous sommes en province, chez M.