Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 162.djvu/773

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
769
LE FANTÔME.

contenance. Moi-même, je n’osais l’aider. Je me tenais à côté d’elle, perdu d’émotion. Quand elle eut fini sa gracieuse besogne, elle releva ses yeux vers moi, ses chers yeux bleus où je pus lire tant de loyauté, de pudeur, et pas un reproche, et elle me dit :

— Pourquoi avez-vous été ainsi avec moi ?… Ce n’est pas bien. Il n’y a qu’une personne ici à qui vous deviez demander le droit de revenir, c’est ma tante…

Elle était à l’extrémité de l’allée, cette tante, à la minute où la tendre enfant me parlait ainsi, et elle nous souriait de l’air indulgent d’une femme âgée devant le gentil manège de deux amoureux à la veille d’être fiancés. Quand je lui eus dit que je venais prendre congé d’elle, ses yeux exprimèrent une réelle surprise. Elle regarda Éveline. Elle me regarda. Je vis distinctement sur ses lèvres la phrase qu’avait prononcée sa nièce : Et quand reviendrez-vous ?… Elle ne la prononça point, et moi, la coupable folie de ma conduite m’apparut dans l’éclair de ma raison soudain retrouvée. La parole de René de Montchal, hier, résonna tout à coup âmes oreilles : Si vous ne voulez pas épouser Mlle Duvernay, quittez Hyères, Malclerc, vous le devez !… L’épouser !… Malheureux, tu ne peux pas faire cela, tu ne peux pas commettre l’inceste… Et alors, ta visite, tes gestes, tes discours d’aujourd’hui ?… Malheureux ! malheureux !… Il faut que cette criminelle faiblesse ait du moins été la dernière. Je me donne ma parole d’honneur de prendre le premier train demain matin pour Nice, sans être retourné aux Cystes… Cette fois je la tiendrai. Dieu ! Que ce sera dur !…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

4

Nice, 26 février.

… Insensé que j’ai été de croire que je pourrais supporter cela, cette renonciation à ce qui fut le bonheur de ma jeunesse, miraculeusement retrouvé dans le moment même où cette jeunesse va finir, quand je touche à l’âge des aridités intérieures et des abdications définitives ; que j’étoufferai mon cœur, quand il s’est remis à palpiter, à saigner en moi avec cette ampleur de désirs, cette force d’impression dont je ne me croyais plus capable ! Et pourquoi ? Pourquoi ? Combien les plus libres, ceux qui ont toujours lutté en eux-mêmes, contre l’esclavage de l’opinion,