Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 162.djvu/786

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


II

Ne poursuivons pas cette querelle. Cherchons plutôt si entre partisans de la solidarité et partisans de la charité il n’y aurait pas un point commun de doctrine qui pourrait les réunir. Un des principaux argumens de ceux qui croient à la supériorité de la solidarité sur la charité, c’est que la charité serait un sentiment purement personnel, une impulsion du cœur à laquelle chacun serait libre d’obéir ou non. On en conclut qu’il n’en saurait résulter aucune obligation sociale, et que, dans un pays civilisé, à organisation complexe, l’assistance aux malheureux ne saurait être abandonnée aux caprices de la sensibilité individuelle. C’est là de leur part une grosse erreur, qui tient à l’ignorance assez naturelle où ils vivent de la doctrine catholique en matière de charité. Je ne voudrais pas m’aventurer à ce propos dans des dissertations théologiques où je ne suis pas grand clerc ; mais je sais cependant ce que savent tous ceux qui ont quelque peu étudié ces questions, c’est-à-dire que, dès l’instant où il se trouve en présence de ce que les théologiens appellent l’extrema necessitas, le chrétien n’est pas libre de se détourner avec indifférence, et d’aller vaquer à ses plaisirs ou même à ses affaires. Il doit au contraire venir en aide à celui qui est victime de cette nécessité, dans la mesure de ses propres ressources, par les moyens qui sont à sa disposition, et cela sous peine de péché grave, comme disent les casuistes. C’est là pour lui une obligation de conscience, qu’on peut assimiler (puisque les comparaisons tirées du droit sont à la mode) à ce que les jurisconsultes appellent une obligation naturelle, c’est-à-dire une obligation qui n’a pas de sanction, mais dont l’accomplissement n’est pas cependant un acte purement bénévole, et ne donne pas lieu à répétition. Il y a là quelque chose qui ressemble fort à ce quasi-contrat que créerait la solidarité, car si, en droit pur, le quasi-contrat peut avoir une sanction civile, tandis que l’obligation naturelle n’en a pas, en fait, les solidaristes les plus déterminés n’en proposent et n’en sauraient proposer aucune. Ils se bornent à proclamer qu’en vertu du principe de solidarité, l’assistance aux malheureux est une dette. Mais les théologiens disent exactement la même chose du principe de charité. A ceux qui seraient tentés, et je ne m’en offusquerais pas, de mettre en doute mon autorité comme insuffisante, je me