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bienfaisance privée. En effet, les directeurs et fondateurs d’œuvres y sont représentés comme gens pour lesquels la bienfaisance ne serait, la plupart du temps, qu’un prétexte couvrant une pensée de spéculation et de lucre. A la vérité, les auteurs du projet veulent bien reconnaître « qu’il est presque impossible de tirer de gros bénéfices de l’infirme, du convalescent, du vieillard, » mais il n’en serait pas de même de l’enfant. Et, sous ce prétexte, on impose aux établissemens qui reçoivent des enfans une foule de conditions, les unes d’une exécution impraticable, les autres tellement onéreuses que la vie leur serait rendue impossible. La loi énumère jusqu’à six cas où l’établissement pourrait être fermé d’office, et par quelle autorité ? Au Conseil supérieur d’Assistance, qui avait préparé le projet où subsistent quelques traditions libérales, on aurait voulu que ce fût par l’autorité judiciaire. Le gouvernement ne l’entend point ainsi. Il veut que ce soit par simple arrêté du préfet, avec recours tout à fait illusoire devant le Conseil d’Etat, statuant, non pas par la voie contentieuse ordinaire, c’est-à-dire après débat contradictoire et plaidoirie, mais par simple avis donné au ministre. C’est mettre en réalité l’existence de tous les orphelinats, ainsi du reste que des autres établissemens de bienfaisance privée, dans la main de l’administration, et le but qu’on poursuit est clairement dévoilé dans un passage de l’exposé des motifs. Au Conseil supérieur, quelques personnes avaient émis l’avis qu’il fallait, de par la loi, imposer à l’administration la nécessité de prendre quelques mesures hospitalières on faveur des assistés, qui verraient ainsi fermer l’établissement où ils étaient hébergés. Le gouvernement a refusé d’entrer dans ces minimes détails. L’exposé des motifs du projet de loi reconnaît bien qu’il peut y avoir une difficulté sérieuse pour les vieillards, les malades, les infirmes, tout en refusant de s’en occuper, mais il ajoute : « Les enfans pourront être recueillis par les différens services publics chargés de les assister. » Ici perce le bout de l’oreille. Ce qu’on se propose en effet c’est, par des procédas indirects, en prononçant la fermeture d’un certain nombre d’orphelinats, en décourageant les autres de naître, de transférer peu à peu à l’assistance publique une clientèle qu’elle partage avec la bienfaisance privée. On veut atteindre celle-ci dans une de ses manifestations les plus fréquentes et les plus touchantes et lui retirer les enfans qu’elle élève, généralement dans des sentimens religieux, pour les