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la chaleur de la terre. On longe les feuillages ombellifères du manioc, les champs d’oignons aux javelots courts, puis, çà et là, un pâturage, un enclos où des chevaux en liberté viennent hennir à notre approche le long des barrières. Des jachères ensuite, où le sol, abandonné à lui-même, se grise d’une débauche de végétations folles, d’une extravagance de broussailles. Le périmètre irrégulier du cafétal y pousse ses angles capricieux, ses saillans irréguliers ; alors, sur le moutonnement vert grisâtre des caféiers à hauteur d’homme, qui vous fouettent au passage de leurs brindilles surbaissées, de leurs grappes de cerises rouges, les guamos, qui les défendent des soleils trop furieux, arrondissent leurs frondaisons sombres et pommelées, tandis que, semées irrégulièrement au travers, des masses de grès et d’arkoses grises sortent de la terre comme de grosses cloches rongées de lichens, et nos étriers de cuivre les raclent successivement avec un bruit de chaudron.

Plus haut encore, c’est la zone des débroussemens, la glèbe de demain, où l’humus, écorché, apparaît gras et noir, derrière ses fronts d’abatis, ses chausse-trapes d’entrelacs et d’épines, parfois aussi derrière des monceaux de cendres et de larges espaces calcinés. A la limite, la vierge forêt, sombre, haineuse, défendue, se dresse, arrête ses fûts blanchâtres, ses grands arceaux de ténèbres, comme un cheval dompté qui se campe. Des équipes de péons s’agitent à mi-corps dans cette région indécise. Leurs demeures, ce sont les ranchos de terre battue qu’on découvre, en cherchant bien, enfouis sous les frondaisons. Tous, sur le passage de l’haciendado, sortent de leurs fagots ou de leurs intérieurs enfumés, se rangent, découverts, au bord du chemin. Chacun, interrogé, donne des nouvelles de sa belle canne pulpeuse, du café touffu qu’il a planté. Même ceux qui ont commis des peccadilles sont là pour recevoir, les yeux baissés, leur leçon.

Parmi les trois mille hectares que comprend cette ferme, il y a un site que j’affectionne particulièrement. C’est un petit plaleau, ras comme la main, au centre d’un unique paysage de montagnes : la Table d’Usatama. Mon cheval s’arrête presque de lui-même sur cet éperon pierreux, qui se dresse très abrupt et très élevé sur la magnificence de la plaine poussiéreuse de soleil, et que contemplent, relevées au loin, les dentelures méditatives de l’horizon. Autour de moi, sifflant sous mon chapeau,