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combien il y avait peu de temps que l’homme était sorti du singe. Dans une des dernières lettres qu’il ait écrites, il disait : « En fin de compte, je crois que nous n’avons pas à redouter les prêtres. La méthode scientifique est la fourmi blanche qui va, lentement, mais sûrement, démolir leurs fortifications. Et l’importance que prennent les méthodes scientifiques dans la vie moderne nous est une garantie de l’émancipation graduelle des classes ignorantes, qui ont fait toujours la force des prêtres. »


Huxley est mort à Eastbourne, le 29 juin 1895, chargé d’honneurs, mais peut-être déjà un peu oublié. Du moins ai-je constaté que tous les critiques s’accordent à juger trop longue l’étude biographique que vient de lui consacrer son fils ; et, en effet, l’étude est bien longue, mais sans doute, on s’en aviserait moins, si elle était consacrée à Wallace, ou à Lyell, ou à Tyndall, à un de ces savans qui, étant entrés dans « l’étroit sentier, » ont toujours continué d’y avancer à pas lents et sûrs. Et, du reste, je suis malheureusement trop étranger aux questions scientifiques pour avoir le droit d’apprécier l’œuvre d’un homme de science ; mais je ne puis m’empêcher de comparer la vie d’Huxley, telle que nous l’a racontée M. Léonard Huxley, avec la vie de Pasteur, telle qu’elle se déroule devant nous dans le bel ouvrage de M. Vallery-Radot ; et je suis sûr que chacun, savant ou ignorant, s’il compare le récit de ces deux vies, reconnaîtra combien celle de Pasteur a été plus fructueuse, plus utile, mieux remplie. Avec des dons précieux, avec un caractère d’une droiture et d’une noblesse admirables, Huxley, vu à travers ses lettres, donne l’impression d’un homme qui a dépensé toute sa force en des luttes vaines, si vaines que lui-même a fini par se rendre compte de leur vanité. Une de ses dernières lettres contient, à ce sujet, un aveu désolant. Après avoir passé de longues années à discuter les théories d’Owen, et à prêcher contre lui la thèse du darwinisme, Huxley, à la mort d’Owen, avait consenti à écrire son éloge dans le Mémoire posthume que préparaient ses enfans ; il louait de son mieux les travaux d’Owen, et il disait à son vieil ami sir J. D. Hooker : « Ce qui me frappe le plus, en rédigeant cet éloge, c’est combien Owen, et moi, et toutes les choses pour lesquelles nous nous sommes battus, combien tout cela appartient à l’antiquité. Il y a presque de l’impertinence à importuner le monde moderne par de telles vieilleries. » Or, ces « vieilleries » avaient pris à Huxley vingt ans de sa vie ; et je crains que les vingt années suivantes ne laissent guère, dans l’histoire de la science anglaise, une trace plus durable ;