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IV

La Chine n’oppose aux étrangers ni le patriotisme, ni l’esprit militaire, ni le sentiment religieux, qui n’existent pas. La civilisation, dont elle s’enorgueillit à juste titre, mais non sans excès, n’est incompatible ni avec les relations extérieures, ni avec la présence des Occidentaux dans l’empire : Confucius a recommandé la justice et la bienveillance envers ceux qui viennent de l’extérieur. La morale confucianiste, loin de répugner aux idées chrétiennes, montre avec elles de remarquables coïncidences ; l’édifice social peut s’accommoder du christianisme ; les chrétiens sont les serviteurs les plus fidèles, les sujets les plus obéissans de l’Empereur ; les ressemblances des deux morales éclateraient aux yeux et produiraient leur effet, le jour où la question des rites serait résolue selon les principes plus tolérans et plus charitables qui avaient guidé les théologiens du XVIIe siècle. On peut, au contraire, se demander si nos importations économiques n’attaquent pas la société chinoise beaucoup plus que ne le fait la religion chrétienne. Les grands ateliers de travail pour les femmes, sous une surveillance masculine plus ou moins directe, sont contraires à la morale reçue ; les ingénieurs, qui ne sont guère aux yeux des Chinois que des docteurs en fong choei d’une école opposée, bouleversent les tombes, troublent les esprits des montagnes et les dragons des fleuves ; les villes ouvertes donnent à ceux qui y ont vécu des habitudes d’indépendance qui sapent l’organisation communale et familiale ; les chemins de fer, en facilitant les déplacemens, rompent les cadres de la vie patriarcale, intacts depuis tant de siècles. Faut-il donc fermer les ports et les usines, abandonner les mines, les voies ferrées ? Évidemment non ; mais il faut introduire les nouveautés graduellement, les présenter aux Chinois par le côté le plus pratique et le moins choquant pour leurs idées, leur montrer dans leurs croyances et dans leurs livres ce qui concorde avec nos inventions et ce qui les fait prévoir ; surtout il faut laisser là cet orgueil agressif à propos de notre civilisation, orgueil qui n’est pas toujours justifié et qui est particulièrement offensant pour des gens civilisés eux-mêmes. Mais ces préparations, cette patience, peut-on les demander à nos commerçans ou industriels ? Qu’ils s’associent à cette œuvre de rapprochement, fort bien ; mais d’autres, des