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ne fût avec nous. Dois-je dire la chance ? N’eût-il pas mieux valu que quelque témoin assistât à cette scène, que l’attention d’Éveline fût éveillée par quelque remarque, au lieu que, dans son tendre aveuglement, elle n’a eu qu’un souci, celui de ma santé ? Et moi, je n’ai voulu voir là qu’un désarroi passager de mes nerfs, au lieu que cette vision de la morte irritée était l’avant-coureuse des troubles peut-être inguérissables dont je suis maintenant la victime. Si du moins je pouvais être cette victime, sans être en même temps un bourreau !

Et il y a eu un troisième avertissement, le plus solennel, car il me fut donné par un homme vivant, avec une voix vivante. Il me vint du vieil ecclésiastique à qui j’étais venu, sur l’indication de ma fiancée, demander un billet de confession. Le regard de cet abbé Fronteau, qui a baptisé Éveline et connu Antoinette, me causa, dès le premier instant, la même gêne que m’avait causée le regard de M. d’Andiguier. Autour de lui, tout respirait cette atmosphère du renoncement, d’une vie intérieure et tournée uniquement vers les choses de l’âme, qui m’a toujours étrangement impressionné. Je me suis demandé bien souvent si la grande émotion, ce que j’appelais jadis l’émotion sacrée, n’était pas le partage de ceux qui ont vécu ainsi. La pièce où ce prêtre me recevait était une chambre blanchie à la chaux, au sol carrelé, presque une cellule, ornée de quelques gravures de sainteté. Son grand visage ascétique avait, sous ses cheveux gris, une expression d’austérité froide que démentait le feu de ses prunelles noires, d’une fixité et d’une pénétration singulières. Lorsque je lui eus expliqué que je ne me confessais point, n’ayant pas la foi, et les raisons pour lesquelles je tenais cependant à me marier à l’église, il me dit :

— Je ne veux pas peser sur votre conscience. Monsieur, je n’en ai pas le droit. Je désire seulement de vous une promesse, oh ! bien simple. Quand Mlle  Duvernay sera devenue Mme  Malclerc, vous n’essaierez jamais de vous mettre entre elle et sa vie religieuse ?…

— Je vous le promets, lui répondis-je, et je n’aurai pas beaucoup de mérite à tenir ma parole.

— L’apôtre a écrit que l’homme incroyant sera sanctifié par l’épouse croyante, reprit le prêtre. Si vous observez cet engagement, ce sera le principe de votre retour. Vous ne voyez aujourd’hui dans le mariage qu’un contrat ; vous éprouverez, par vous-