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dans son ordonnance, notre volonté n’est mie que l’on puisse prêter à usure. »

Ce monarque était trop bon ; il laissait à l’intérêt légal une marge dont celui-ci n’avait pas besoin. Une pauvre serve de Troyes, débitrice en 1388 d’une somme de 25 sous, pour laquelle elle a mis en gage sa meilleure « cotte, » paie deux derniers pour livre par semaine, soit sur le pied de 74 pour 100 par an, pendant les quatre mois que dure sa dette ; c’est le taux le plus élevé que j’aie remarqué en fait, bien que plus tard, à Grenoble, le conseil communal demande que l’on exerce des poursuites contre les usuriers « qui exigent un intérêt de 100 pour 100. » Mais il peut y avoir là une de ces exagération de langage comme les assemblées délibérantes ne craignent pas d’en commettre. L’intérêt mobilier a varié en France, au moyen âge, autant qu’on en peut juger par un très grand nombre d’exemples choisis dans beaucoup de provinces, de 45 à 10 pour 100. En moyenne, il oscille entre 20 et 25 pour 100.

Trois siècles se passèrent à tourner dans un cercle vicieux : la proscription périodique des banquiers augmentant l’usure ; l’usure, devenue habituelle, motivant la proscription des banquiers. Ce mot de « banque, » cette qualification de « banquiers, » qui éveillent aujourd’hui l’idée de quelque local vaste et, confortable, de quelque individu opulent et important, conviennent-ils bien à ces parias au nez crochu, la robe déshonorée par une rondelle jaune, qui se tiennent en plein air derrière leur table, comme des marchands des quatre saisons ? À eux le droit commun ne s’applique pas ; ils sont un peu moins que des hommes : dans les tarifs de péages féodaux, on les classe parmi les marchandises. Entre le « grand cheval, » qui paie 8 sous, et « le millier de harengs » qui doit 10 deniers, prend place « le juif, » taxé à 30 deniers au passage de la frontière. C’est une faveur exceptionnelle des souverains, pour les grandes foires, que d’en permettre l’accès en franchise à « toutes personnes de juifs, » comme on autorise les forains, un jour de fête, à dresser librement un cirque ou une ménagerie.

Ces infidèles, ces gens si mal vus, avaient longtemps rencontré des concurrens habiles et achalandés dans les religieux Templiers, qui concentraient en leurs mains, comme trésoriers de l’Église romaine, des rois et de particuliers nombreux, auxquels, ils avaient ouvert des comptes courans, une bonne partie