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si aveugle, les nerfs sont restés, de part et d’autre, violemment tendus et surexcités. Mais le devoir du gouvernement est de créer, autant qu’il est en lui, une atmosphère où, peu à peu, les nerfs se détendraient, les imaginations se calmeraient, les âmes s’apaiseraient, les esprits reprendraient leur équilibre. Est-ce là ce que fait le ministère ? Il fait tout l’opposé. Fermer l’arène judiciaire aux champions les plus exaltés de l’affaire Dreyfus est quelque chose sans doute, mais peu de chose, si on se contente de porter la lutte sur le terrain politique, et d’entretenir au sein même de la nation cette division en deux camps ennemis qui aurait pu n’être qu’un accident passager, tandis qu’elle risque de devenir un état normal et perpétuel. Le ministère a la prétention de nous rendre la paix par l’unité. Il se propose de faire naitre et d’élever des générations nouvelles qui, ayant reçu une instruction et une éducation identiques, seront façonnées dans le même moule et se réconcilieront dans l’uniformité. A supposer que sa réalisation fût désirable, ce beau projet n’en resterait pas moins une chimère. Nous avons parlé, en commençant, du siècle qui s’achève : que d’actions, que de réactions n’a-t-il pas successivement présentées ! Il en sera de même du siècle qui s’ouvre : la violence qu’on y aura dépensée pour incliner les esprits dans un certain sens n’aura d’égale que la violence avec laquelle ils se redresseront ou plutôt se rejetteront ; en sens inverse. Nous croyons peu à l’influence durable et lointaine du gouvernement actuel ; les générations futures échapperont facilement à ses entreprises, et les tourneront peut-être en risée ; mais la génération présente en sera déchirée. On ne lui distribue que des armes de guerre. Et nous ne parlons que de nos intérêts moraux : nos intérêts matériels ne courent pas un moindre péril. C’est là ce qui nous trouble, nous afflige, et nous oblige à avouer que ce siècle finit mal pour la France. L’histoire ne sera pas embarrassée pour dire à qui en revient la responsabilité.


A l’étranger, il s’en faut aussi que la situation soit sans nuages. On annonce qu’en Chine, les représentans de toutes les puissances ont enfin reçu l’autorisation de signer une note collective, qu’ils l’ont signée en effet, et remise au prince Ching. Quant à Li-Hong-Chang, il est malade, et son grand âge permet de craindre que sa maladie ne prenne un caractère sérieux. On a beaucoup parlé de lui depuis quelques mois, et la presse européenne ne lui a pas été généralement favorable : pourtant, son absence serait regrettable dans les